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Billet de blog 30 novembre 2024

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Les princes du haut

Très haut. Dominer. Je domine. Plus haut que moi ? Le ciel. Mes yeux se promènent. Ils vont et viennent. Un voyage à perte de vue. Sans être arrêté par la moindre frontière. Excepté celle du vol des oiseaux. Mon identité, c’est l’horizon. J’ai une vue plongeante sur mon domaine. Tout ça m’appartient. Mais pas uniquement à moi. Notre domaine.Pourquoi nous n’avons pas le vertige ?

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Illustration 1
© Le funambule, Paul Klee, 1923

Très haut.

 Dominer.

 Je domine.

  Plus haut que moi ?

    Le ciel.

      Mes yeux se promènent. Ils vont et viennent. Un voyage à perte de vue. Sans être arrêté par la moindre frontière. Excepté celle du vol des oiseaux. Mon identité, c’est l’horizon. J’ai une vue plongeante sur mon domaine. Tout ça m’appartient. Mais pas uniquement à moi. Notre domaine.

        Tout ça appartient aux vivants et aux fantômes. Nous sommes copropriétaires. Depuis quand ? Des questions terre-à-terre. Elles sont semées ici et là,. Mêmes semences partout sur la surface du globe. Souvent des graines de discorde. Avec des drapeaux plantés ici et là sur chaque jardin. Des questions que se posent les Terriens et les Terriennes. Dans quel but ?

          Le plus souvent pour clôturer l’espace. Et voir l’autre à travers un grillage. Chacun chez soi. Pour un bon ou mauvais voisinage. Chacun délimitant sa parcelle sous le ciel. À quand remonte la première clôture de l’humanité ? Les réponses doivent se trouver. Notamment sur l’acte de propriété de la planète. Mais des infos fort difficile d’accès. Comment consulter le cadastre planétaire ?

      Suffit de lever les yeux. Les pages s’ouvrent au-dessus de nous. Notre acte de propriété passe de nuage en nuage. Plus lisible par grand ciel bleu. Mais présent même dans la nuit la plus opaque. À chaque seconde, chaque Terrien et Terrienne encore plus propriétaire. Rien qu’en se trouvant ici ou là. Et les nomades ? Propriétaires de l’ici et de là. Sédentaire ou nomade, toujours le même toit de chair et d’os. Huit milliards de propriétés immobiles ou en mouvement. Plus celles de fantômes sous terre ou dispersé dans l’air. Pas que propriétaire. Nous appartenons aussi à notre territoire.

       En location sur nos premiers pas. Juste après la sortie du ventre. Locataires de tous les autres pas. Au coin de sa rue ou à l’autre bout de la terre. Des locataires du vent, du ciel, des étoiles… Et de chaque brin d’herbe.

       Locataires du temps qui passe.

       Tout ce que je vois en bas est à moi. À nous. Aux vivants et aux fantômes. Personne ne peut nous l’enlever. Non. C’est à nous pour toujours. Même morts. On n'arrache pas un être à son vent, son ciel, ses étoiles… Et à son brin d’herbe.

      Plus que les mots. Pourquoi faire ? Ne pas tout perdre. En réalité, cette terre n’est plus à moi. Ni à nous. Des hommes sont venus nous la prendre. Ils ont construit dessus. Chaque jour et nuit, ils marchent et roulent sur nos fantômes. Tous les êtres qui habitent nos veines. Le sol vibre sans cesse sur leur histoire. La nôtre. Nos fantômes ne peuvent se reposer. Expulsés même de leur repos éternel.

          Et moi, je vois tout ça de haut. Sur mon échafaudage. Funambule blessé.

         En équilibre sur notre naufrage.

         Mon peuple n’a pas le vertige. C’est ce qui se dit et s’écrit. Un peuple sans vertige. Vous êtes les « Princes d’en haut », m’a dit un contremaître. Nous pouvons travailler sur les plus hautes constructions en cours du pays. Et de la planète. Suffit de dire qui nous sommes pour être embauchés. Prioritaires sur les autres ouvriers.  Pourquoi nous n’avons pas le vertige ?

        Issus d’un peuple qui a chuté. Nous sommes déjà tombés. Mais la chute continue. Dedans. Une chute qui ne s’arrêtera jamais. C’est l’héritage que nous laissons aux générations suivantes. Ils vivront aussi dans la chute. Un héritage que nous laissons aussi à nos fantômes. Même notre mémoire chute.

          Hier, un homme a été élu. Un des plus puissants du monde. Comme quelques autres sur la planète. Qu’ont-ils de plus que les autres ? Le pouvoir de construire ou de détruire. Qu’ont-ils choisi ? Le pouvoir de toujours plus. Et à n’importe quel prix. Même celui de leur destruction annoncée. Hier, je l’ai vu passer. Regardant de haut l’un des nouveaux patrons du globe. Avec son escorte de voitures. Un long cortège. Vu d’ici on dirait des voitures de gosses. Mais pas d’enfants à l’intérieur. Des hommes et quelques femmes qui ne font que passer. Passage blindé à travers les rues de la ville. Roulant sur la mémoire de tout un peuple. Et prêts à écraser la planète entière. Pour quelques billets de plus dans le vide-poche.

       Regardez-moi. Admirez-moi. Applaudissez-moi. Photos de face, de profil. J’ai gagné. Parce que je suis de la race des vainqueurs. Un homme, un vrai. Avec ma paire de couilles posée sur le bureau de direction du monde. Zoom dessus. C’est la plus grosse de l’univers. Mon érection va jusqu’à la lune. On la voit partout de l’univers. Un selfie ? Pas de souci. Gardes, laissez-les passer. Approchez, n'ayez aucune crainte. je vous aime, si vous m'aimez.  Souriez. Un plus grand sourire quand même. Vous n’êtes pas avec n’importe qui. En photo avec l’homme le plus puissant de la planète.

         Des ricanements sous ses roues. Il ne les entend pas. Les autres passagers non plus. Trop occupés à écouter la musique de leur vide clinquant. Les fantômes se marrent. Eux savent que cet homme et ses collaborateurs n’ont que le pouvoir. Un pion. Même avec sa couronne sur la tête. Un pion interchangeable. Hier, un autre avait le même pouvoir que lui. Demain, il passera entre de nouvelles mains. Le mot puissant n’est pas le bon. Comment alors définir son rôle ? Un homme de pouvoir éphémère.

          Sans réussir à accéder à la puissance du vent. Souffle sans frontières. Le vent n’a pas besoin de s’agiter en haut d’une estrade pour affirmer sa présence. Contrairement à lui qui doit suer, mentir, diviser, pour prouver son existence. Sans bruit, il n’est rien. Un homme de pouvoir sans la force des étoiles, des mers, des océans… Même un brin d’herbe a plus de puissance que n’importe quel homme ou femme de pouvoir. Et de nombreux autres qui s’accrochent à leur carte de visite comme à une bouée de sauvetage. Au fond, ils savent que leur vieux monde est en train de couler. Et qu’ils seront submergés. Les fantômes savent tout ça. Riant sous-terre. Les hommes de pouvoir ont réussi à tout leur enlever. En commençant par leur terre. Puis par piller leurs us et coutumes. Ils ont gagné. Sans toutefois parvenir à leur ôter l’essentiel. Quoi ? Leur puissance.

           Et un rire sans fin.

          Le rire des perdants.

         Mes larmes coulent. Elles tombent de 112 mètres. Personne ne les verra. La pluie invisible sur le visage d’un peuple qui ne penche plus. Il est tombé. Aspiré dans un trou noir de l'histoire. Un peuple non-bancable. Pas du côté des gagnants. Pareil pour certains êtres aspirés dans l'ombre. Un enfant battu ou écrasé sous une bombe, une femme brisée par les poings de son compagnon… Tout être humilié et nié dans son humanité mais dont la souffrance reste dans l’ombre. Parce qu’elle ne rapporte rien. Ni en argent, ni en audimat, ni en... Une chute invisibilisée. Mais avec toujours des conséquences. Chaque chute entraîne avec elle celle du monde entier. 

       Et de l’humanité.

         Même prince des perdants, tout ça en bas reste à moi. Et à nous. Ainsi qu’à vous aussi. Le monde nous appartient. Autant que nous lui appartenons. Le monde, c’est nous. Du début à la fin de notre existence. Huit milliards de membres  sur un même corps. Certes vieillissant. De plus en plus essoufflé. Avec du mal à faire tourner sa vieille carcasse en orbite. Un corps usé par nous.

       Que nous dit ce vieux corps terrestre ? Son message est important. Une urgence plus que vitale. Pourquoi nous ne l’entendons pas ? Comment se fait-il que sa voix soit  si basse ? Parce que nous - petits et grands - gueulons trop. Souvent pour ne rien dire où laisser s’étaler notre ego. Que faire pour que sa voix nous parvienne ? Fermons nos bouches qui savent tout. Pour écouter les mots de son vieux corps. Il est en train de nous rappeler l’essentiel. Ce qu’on devrait jamais oublier. Quel est son message inaudible ?

       Le monde est à nous. Oui. Tout ça est à nous. Belle et grande demeure. Mais elle n'appartient pas uniquement à notre espèce. Même si elle est persuadée d’avoir signé un bail à perpétuité. Le monde appartient à toutes les espèces. Celles disparues. Et toutes les autres en cours de disparition. Comme notre espèce qui va s’effacer elle aussi. Avec le pire et le meilleur dans son sillage.

         Le brin d’herbe ne conversera jamais avec le nouvel homme fort du monde. Sans doute qu'ils n'auraient rien à se dire. Surtout le brin d’herbe. Nul besoin pour lui d’en faire des tonnes devant un micro pour prouver qu’il est un brin d’herbe. Suffit d’un souffle de vent pour qu’il soit vivant. Ou du passage d’un insecte. Parfois, il est glissé entre deux lèvres fébriles qui se rapprochent. Le brin d’herbe n’ jamais besoin de dire je. Il l’est. Brin d'herbe d'ici-bas.

       Toutefois, les deux ont un point en commun. Irréfutable. Même si le nouveau président des États-Unis ne peut s’imaginer avoir une similitude avec un brin d’herbe. Et encore moins se retrouver au même niveau. Pourtant, c’est la réalité. Comme pour tous les autres habitants et habitantes de la planète. Avec un petit ou un grand pouvoir. Visibles ou invisibles des écrans planétaires. Et avec ou sans pouvoir. Des vivants différents et uniques. Mais avec le même bail universel que le brin d’herbe.

        Locataire de l’instant passager.

NB :   Cette fiction est inspirée d’un dialogue. Merci à Erick Auguste de l'avoir retranscrit sur sa page FB. Vous pouvez trouver l'intégralité de son texte  ici.

Un quidam new-yorkais s’adresse à un Lakota laveur de carreaux :

« Comment se fait-il que vous, les Indiens, vous n’avez pas le vertige ? »

« Nous avons le vertige. »

« Mais alors pourquoi grimpez-vous tout là-haut ? »

Et le Lakota de répondre :

« Parce que de là-haut, nous regardons la terre que vous nous avez prise !

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