Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1819 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 mars 2025

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

« Tu n'as rien vu à Gaza. Rien. »

Un détournement qui ne serait peut-être pas du goût de Marguerite Duras. Cette phrase est soudain remontée à la surface. L'extrait de dialogue d’un film jamais vu. Mais j'avais lu le scénario. Comment capter l’horreur ? Peut-on l’évoquer sans l’avoir vécu dans sa chair ? Comment alimenter la mémoire sans polluer le présent ? Nombre de questions sous mon crâne aux seize printemps.

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Hiroshima Mon Amour - Comme toi, j'ai oublié © Carlos García

             Un détournement qui ne serait peut-être pas du goût de Marguerite Duras. Cette phrase est soudain remontée à la surface. Et elle s'est imposée comme titre. L'extrait de dialogue d'un film jamais vu. Pourtant, une prof de français au lycée nous avait vivement encouragés à le regarder. Et mes parents m’avaient donné de l’argent pour que je me rende dans un cinéma parisien. Le petit billet dépensé avec d’autres copains de la classe à la Rhumerie, Boulevard St Germain, à Paris. Le punch était très bon et la soirée sympa ; aucun regret. Mais, contrairement à mes copains de Rhumerie, j’ai lu très vite le scénario. Pourquoi un tel empressement ? Culpabilité vis à vis de l’enseignante  si enthousiaste de nous le faire découvrir ? Rendre quelque chose à mes parents pour qui ce billet n’était pas anodin dans la course récurrente à la  fin de mois  ? Ne pas avoir l’air con quand on parlerait du film en cours  ? Je ne me souviens plus des raisons. Contrairement à l’effet du texte. Un scénario qui m'a troublé.

         Certes pas le seul élève de la classe dans ce cas. Même ceux qui s’en moquaient et trouvaient le film et le scénario nul (intello chiant et hors-sol) n’étaient pas très l’aise. Déstabilisés et certains choqués par la cohabitation de l’histoire de deux corps amoureux et d’un massacre – le plus rapide de l’histoire de l’horreur – d’environ 100.000 humains. Comment capter l’horreur ? Peut-on l’évoquer sans l’avoir vécu dans sa chair ? Comment alimenter la mémoire sans polluer le présent ? Nombre de questions sous mon crâne aux seize printemps. Plusieurs passages du texte restent encore énigmatiques. Le relire à un demi-siècle d’écart ? Voir enfin le film, avec ou sans punch ? Et bien sûr toujours s’en marrer avec Pierre Desproges. Avec son humour pour chialer sans déranger les larmes. Stop digression.

           Revenons à ce que je ne veux pas voir. Pourtant, c’est très visible sur nos écrans. Impossible de ne pas le voir. Des images circulent en boucle sur la toile. Plus exact de dire : ce que je vois avec souvent une impossibilité d’en parler. Ou de l’évoquer avec moult précautions oratoires. Comme avant d’en parler, de rappeler systématiquement l’horreur du 7 octobre 2023 en Israël. D’emblée, comme toute personne équipé d’un cœur et cerveau et en état de marche, j’ai trouvé ce massacre horrible et inexcusable ; pas un acte de résistance. Où est la résistance dans la tuerie d’innocents et le viol de femmes ? Indéniablement, un crime contre l’humanité. Comme ce qui déroule en ce moment à Gaza. Que je vois et occulte le plus possible. La tête dans le sable numérique par appréhension. De quoi ?

          D’être accusé d’antisémitisme.  En notre ère de confusion, les anathèmes et étiquetages express devenus sont monnaie courante. Le proverbe «  Qui veut noyer ton chier l’accuse de la rage » mis à toutes les sauces.En plus, mon prénom me rend - pour certains et certaines - potentiellement islamiste et voulant la destruction de L’État d'Israël. Moins facile donc quand on s’appelle Mouloud à s’exprimer sur le sujet. Sûrement très compliqué aussi pour Rachel ou Dov qui dénoncent le massacre des Gazaouis. Elle et lui en  plus, accusés de traîtres. En tout cas, c’est plus que salissant d’être qualifié d’antisémite, quand on ne l’est pas. Infamant. Comme des copines et des copains qui sont taxés de racistes ou d'islamophobes.

          Sans être racistes ni anti-musulman (juste anti-intégristes). Et la plupart d’entre eux font la différence entre racisme ( sale arabe, noir, jaune, blanc) et la haine de la religion musulmane ( s’attaquer à un lieu de culte ciblé ou dire et écrire des insultes contre une religion précise). Le terme islamophobie est souvent instrumentalisé par les intégristes musulmans ? C'est  une réalité.  Trouvons alors un autre terme pour évoquer la haine  - réelle - de certains contre  la religion musulmane. C'est la  proposition d’un athée et néanmoins respectueux de la religion respectueuse des autres religions. Et de nous athées et agnostiques. Majoritaire sur la planète ?

         Se justifier de ne pas être ce dont on nous accuse, c’est  toujours apporter de l'eau au moulin à la manipulation. Elle aura gagné en semant le trouble. Même dans votre tête à vous interroger et parfois même à vous dire: peut-être que je suis porteur inconsciemment de ce dont on m'accuse. Toujours compliqué de prendre en pleine tête une accusation gratuite. Encore plus dans une époque ou le fond de l'air est réellement redevenu raciste, antisémite, homophobe, etc. Se taire  ? C'est aussi perdre.  Que faire  alors ? Nous sommes nombreux a voir le sentiment sentiment d’être coincés. Ne plus savoir comment réagir. Sur Gaza, j’ai donc opté pour occulter . Tout du moins à travers l’écriture. Notamment sur ce blog. J’ai écrit quelques billets sur le sujet en noyant la réalité dans des circonvolutions. Pourtant, c’est indéniablement une horreur humaine est en train de se dérouler. Le nombre de morts atteindra-t-il un jour celui d’Hiroshima ?

         Pas le seul à me sentir coincé depuis le massacre du 7 octobre. Même en se prénommant François. Un après et un avant 7 octobre. Certains ont tout voulu voir à travers cette date. Tandis que d’autres tenaient absolument à tirer les fils de l’histoire et rappeler que ce conflit date de la colonisation de la Palestine. Revenir à la genèse du conflit pour fouiller en profondeur me semble très important. Mais ni historien, ni journaliste spécialisé sur le moyen-orient, je ne me sentais pas la légitimité et la capacité technique d’apporter de l’eau au moulin du débat. Les rares fois où il peut avoir lieu. Très souvent, les invités s’insultant apportent de la boue au débâcle d'idées. Néanmoins, certains et certaines savent pratiquer l’art du frottement d’idées. Merci à ces voix s’extrayant de l’émotion légitime pour essayer d’élever le débat. Donner de la hauteur. Et essayer de trouver une solution urgente. Pour fermer un jour le robinet à sang de deux peuples. Instaurer une paix sans trêve mais définitive. Et que la mort redevienne naturelle.

        Qu’est-ce qui m’a finalement poussé à sortir de la position de l’autruche et rédiger ce billet ? Le déclic a été trois discours. Tout a commencé par une voix déchirée. Des mots déchirés. Un cœur déchiré. Déchirant. Une voix qui prend aux tripes. Même ses détracteurs ne peuvent nier sa sincérité. Autres discours, autre forme de déchirement. Deux voix irlandaises nous exhortant à ne pas oublier et à dire : « J’ai tout vu à Gaza. Tout. ». Fermer les yeux et les oreilles serait un déni du réel. Comme de refuser de voir la réalité du 7 octobre. Deux indéniables horreurs.

          Dénoncer le massacre de Gaza n’est pas de l’antisémitisme. Juste de l’empathie humaniste face à un massacre. Comme de dénoncer l’horreur du 7 octobre ne fait pas de vous un partisan de l’extrême-droite israélienne. Juste de l’empathie face à deux massacres. Ne pas rester indifférent face à  tout ce qui relève de l'abominable. Comme au Yémen, en Ukraine, au Darfour, et partout où il faut ouvrir les yeux et les oreilles. Voir et dire quand des humains sont niés dans leur humanité. Quelles que soient les victimes. D’où qu’elles viennent. Malgré des différences, toutes ces victimes ont un point en commun. Lequel ? Toutes sont déshumanisées. Et à ce propos, le témoignage d'un homme qui a connu la déshumanisation. Vécue dans sa chair.

        Que rajouter ? Rien. Tout est si bien dit dans ces discours de deux députés irlandais. Comme dans le témoignage poignant d'un rescapé de l’holocauste.  Fort heureusement pas les seuls à avoir parlés. D’autres ici ou là ont été présents à travers la parole ou l’écriture. Des voix de tout bord qui ont mis l’humanité au-dessus de tout. Rappelant que tous les massacres d’humains sont différents et semblables. Pas de différence de couleur de larmes pour les mères ayant perdu la chair de leur chair. Des voix qui refusent de hiérarchiser les êtres en souffrance. Pas de sous-humanité. Ni de populations vues comme quantité négligeable. Sans non plus privilégier tel ou tel drapeau sur une plaie ouverte. Que l’humanité blessée à essayer de soigner.

        Une dernière digression concernant le travail de l’écriture. Chaque fois l’émotion passée (KO par le massacre du 7 octobre, puis celui en cours de Gaza, et toutes les autres horreurs ici ou là...), on remet sur le métier un poème, une nouvelle, ou un roman. Reprendre le chantier de sa page quotidienne comme si de rien n’était. Ou à peine un nuage sombre. Le vent des écrans l’ayant repoussé, avant l’arrivée de la prochaine horreur. Vous reprendrez bien un petit nuage de sang et de haine dans votre poème. Sans doute  loin d'être le seul à avoir de grandes difficultés à évacuer l’horreur et l’abominable de notre époque. Se remettre du glauque et  du sang qui coule parfois vus en direct met de plus en plus de temps.  Et pas que les artistes à être poissés profondément par certaines images de l’abominable contemporain. Nombre d'autres citoyennes et citoyens sont touchés et ont du mal à s'en remettre. À chaque KO face écran, l’écriture semble si dérisoire. Voire indécente. Cesser d’écrire poèmes et fictions ?

          Parfois la tentation de tout lâcher. Ne plus s’accrocher à des mots inutiles. Jamais une phrase, même la plus poétique et chargé de sens, ne changera la situation du monde. Ni empêcher un massacre. Mais s'arrêter d’écrire ne changera rien non plus. Sans doute que ce serait pire. Pour l’auteur ou l’autrice (avec ou sans visibilité publique ) qui en a besoin. Écrire comme un second souffle. Sans cette activité, certaines solitudes seraient encore plus terribles pour les auteurs et les autrices tenus debout entre autres par l’écriture. Ce serait pire aussi pour les lecteurs et les lectrices. Toutes celles et ceux qui ont besoin des mots d’ autres pour peupler leur histoire. Voire même résonner dans leur solitude. À chaque lecteur et lectrice de se faire son miel de papier ou numérique. Cesser d’écrire serait abdiquer. Une perte pour la main qui écrit. Et l’œil qui lit. Une perte de plus sur l’ardoise du siècle..

        Continuer de voir et de dire

         En guise de conclusion, deux poèmes d’un homme et poète qui a toujours vu et dit :

"Double Exil" : Nous aussi, nous aimons la vie... © Alain Robak
MAHMOUD DARWISH - Rita and the Rifle (Love Poems) © shamis

Entre Rita et mes yeux, un fusil
Et celui qui connaît Rita se prosterne
Et adresse une prière
à la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel
Moi, j’ai embrassé Rita
quand elle était petite
Je me rappelle comment elle se colla contre moi
Et de sa plus belle tresse couvrit mon bras
Et moi, je me rappelle Rita
Ainsi qu’un moineau se rappelle son étang
Ah Rita!
Entre nous, mille oiseaux, mille images
D’innombrables rendez-vous
criblés de balles par un fusil
Le nom de Rita prenait dans ma bouche un goût de fête
Le corps de Rita dans mon sang était célébration de noces
Et deux ans durant, je me suis perdue dans Rita
Et deux ans durant, Rita a dormi sur mon bras
Nous prêtâmes serment
autour du plus beau calice, nous brulâmes
dans le vin de (nos) lèvres
et nous ressuscitâmes.
Ah Rita!
Qu’est-ce qui aurait pu éloigner mes yeux des tiens,
Hormis le sommeil
et les nuages couleur de miel,
avant ce fusil ?
Il était une fois
Ô silence du crépuscule
Au matin, ma lune a émigré, loin
dans ces yeux couleur de miel
Et la ville
a balayé tous les aèdes…et Rita.
Entre Rita et mes yeux, un fusil

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.