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Billet de blog 31 août 2024

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Lettre à Demain

Un courrier-poème remontant à un demi-siècle. Mais jamais envoyé. Quelques lignes sur un cahier d’écolier. Rédigées une nuit d’insomnie. Seul dans la cuisine. Les mots d’un insomniaque d’une dizaine d’années. Aucune trace de cette lettre. Une de mes premières expériences d’écriture. Que pouvait contenir ce courrier ? Sans doute l’inquiétude du lendemain.

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Illustration 1

             Un courrier-poème remontant à un demi-siècle. Mais jamais envoyé. Quelques lignes sur un cahier d’écolier. Rédigées une nuit d’insomnie. Seul dans la cuisine. Pendant que la maisonnée dormait. J’étais seul dans la cuisine. Dehors, la ville en suspens. Quelques heures avant le son des réveils ricochant de maison en maison. Le signal pour des hommes café-clope qui allaient louer leur bras à une chaîne. Bouffés par la machine pour faire bouffer la famille. Avant le réveil du labeur, le chant du merle derrière les volets. J’aimais ce moment de solitude de papier. Les mots d’un insomniaque d’une dizaine d’années. Aucune trace de cette  lettre. Une de mes premières expériences d’écriture. Que pouvait contenir ce courrier ?

        Sans doute l’inquiétude du lendemain. Vous l’êtes depuis bien longtemps. Sûrement depuis la nuit des temps. Un peu moins peut-être depuis l’invention du feu perçant l’obscurité. Même depuis la «  fée électricité », vous êtes encore une anxiété. Demain, il fera jour. On verra demain. Ne pas remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui. De quoi sera fait demain. Des lendemains qui déchantent. Guère un hasard toutes ces expressions pour le moins sombre vous mentionnant, Cher Demain. Néanmoins parfois une vision plus rose. Avec les lendemains qui chantent.

       Une promesse souvent entendue dans notre quartier populaire. Certains y croyaient. D’autres plus du tout. Mais cette promesse de lendemain revenait à chaque élection. Des hommes et des hommes venaient nous l’annoncer. Au coin de la rue, à la radio et télé, ou noir sur blanc sur papier. Certains, les moins désabusés, se mettaient à y croire. Après tout, il y avait eu les congés payés, la sécu, et d’autres progrès. Mais chaque fois déçu. Le seul progrès était les acquis du passé. Essayer de les conserver.

       Gosse, je n’ai pas cru au Père Noël. Ni en Dieu. Et très vite, je n’ai plus cru aux politiques. Une intuition d’avoir affaire à des comédiens dans une comédie bien huilée. Toutefois, je n’ai pas cessé de croire en la politique. Autrement dit, je tu il elle nous vous. La politique de nos propos et actes. Chaque individu porteur du pire et du meilleur de notre espèce. Loin de la gesticulation des petits et grands comédiens dans la course au pouvoir. Bien que certains – pas tous pourris – ont contribué à de belles avancées et cherché à rassembler plutôt que diviser. Toutefois, au fil du temps et de ma fréquentation de la connerie humaine (la mienne comprise), j’ai commencé à douter de nous les hommes avec le grand h d’humanité. Pas pires prédateurs. Déçu des humains mais toujours misant sur l’humanité. En elle, j’ai toujours cru. Et en vous aussi, Cher Demain. Sans vous, pas de nous. Ni de désir.

        Ma religion, c’était en fait Demain. J’ai beaucoup cru en vous. Et je continue. Gamin, j’espérais que ma famille, mes autres proches, mes voisins, aient des lendemains qui chantent. Ne plus être écrasés par la nécessité. Pouvoir profiter de l’instant sans la crainte d'un pire écrasement. Un vœu aussi pour un meilleur lendemain pour le monde entier. Avec le recul, j’ai toujours misé sur vous. Surtout quand le jour en cours était un chantier d’incertitudes. Comme en ce moment. Regarder vers vous offrait une perspective. Celle au moins de ne pas se résigner. Refuser de se conforter dans le malheur ; le sien et celui du monde. Se dire que la nuit, même la plus opaque, a une fin. Et que le bonheur n’est pas qu’un leurre.

       Toutefois, le malheur a un avantage. On n'a jamais peur de le perdre. Contrairement à l’espoir. Souvent perdu. Une perte générant résignation ou colère. Et surtout une grande lucidité. Celle des êtres qui ont perdu plusieurs fois l’espoir. À un moment donné, les discours ne les atteignent plus. Blindés. Ne venait pas leur vendre des lendemains enchantés. Ils ont déjà donné. On ne les reprendra pas. Pourtant, certains ne voulant plus se faire avoir, reprennent goût à l’espoir. Même quand il est proposé par le pire manipulateur. Pourquoi y retourner après tant de déceptions ? Une question qui peut se poser. Surtout pour les éternels dindons de la farce républicaine. Tous les riens bons qu’a pousser un caddie et aller voter avec la trouille au ventre d’un pire lendemain. L’espoir aussi essentiel que le souffle ?

       Cher Demain, je vous ai détesté. Tout le monde ne parlait que de vous. Surtout les plus pauvres du quartier : la majorité. Fallait toujours penser à demain. En travaillant bien à l’école, en économisant, etc. L’avenir, que l’avenir – l’un des synonymes de Demain - dans les bouches des adultes qui nous entouraient. Nous en avions marre. À peine sur la planète, qu’il fallait penser à Demain. Alors que nous venions à peine d’entamer l’aujourd’hui de notre histoire. Ne rêvant que d’une chose : rêver. Et surtout ne pas s’économiser. Dilapider notre présent. Claquer le temps sans compter. Ni penser à Demain. Jouir de l'immortalité de la jeunesse. Vivre en privilégiant l'instant.

          Une anxiété du lendemain surtout dans les milieux pauvres ? Sans doute que la peur du lendemain est proportionnelle à la taille de son compte en banque. On se sent plus à l’aise avec un portefeuille bien rempli. Les héritiers de familles aisées sont souvent moins soucieux de l’avenir. Sachant qu’ils auront toujours une branche sur laquelle se poser. Les «  sans héritage » sont toujours dans une plus ou moins grande inquiétude. Elle pèse sur leur quotidien. Que sera demain ? Pire ou meilleur qu’aujourd’hui ? Incertitude et doute au compteur. Avec l’appréhension d’une éventuelle bascule et dégringolade. Chaque nuit se coucher avec la trouille du lendemain.

        Rien n’a changé depuis la période où je vous écrivais. Un demi-siècle plus tard, les héritiers ont hérité. Un héritage qu’ils transmettront eux aussi à leur progéniture. Ça suit sont son cours de génération en génération. Comme pour les sans héritage. Eux aussi se le transmettent de famille en famille. Une transmission d’incertitudes du quotidien et de son frigo à remplir. Transmettant aussi une forme de résignation et écrasement. Toutefois quelques exceptions : des sans héritage réussissent à passer dans la catégorie de légataires. Devenant ainsi le premier maillon d’une lignée de futurs héritiers. Une exception qui confirme la règle. Et lui sert de caution positive. Rien ne change dans le fond pour les sans héritage. Toujours dans une forme de précarité. Jamais le même demain avec ou sans héritage.

           L’égalité de chances n’existe pas. C’est un leurre. Les héritiers (que ce soit financier ou de tel ou tel capital symboliques, culturels, etc.) partent avec plusieurs foulées d’avance. Bien souvent courant dans des couloirs-quartiers-écoles différents de ceux des sans héritage. « Les hommes naissent libres et égaux en droit. Après, chacun se démerde. » Cette formule de Jean Yanne est pertinente. Toujours d’actualité. Quelle que soit la couleur politique,  très rares les élus  ( les penseurs et les artistes dits engagés ....) qui remettent en cause l’héritage. Tout en sachant que nombre de citoyens et de citoyennes sont déshérités de naissance. Le revenu minimum universel serait-il une solution ? Je n’en sais rien. L’égalité des chances est un slogan républicain. Pour ne pas dire une publicité mensongère. L’héritage serait-il la plus grande inégalité des chances ?

       Peut-être que je parlerais différemment si j’étais héritier. Telle la majorité des copains et copines de mon milieu bobo-culturel. Comme eux, même en critiquant les inégalités des chances, je m’accrocherai à mon tas de cailloux, mon bout de terre, mes actions cotées en bourse, mes avantages, mes niches fiscales, etc. « Parfois, je rêve d’avoir quelque chose à transmettre. Autre chose que l’essentiel, comme l’amour, les valeurs humaines ; tout ce qui est hors de prix. Et ne passe pas par le notaire. Mais j'aimerais quand même leur refourguer un peu de matos. Comme un toit et un poirier pour la soif à mes gosses pour les protéger des intempéries. Pas envie qu’ils se bousillent comme leur daron. » Les propos d’un maçon italien de mon quartier d’enfance. Il se marrait tout le temps. Sa femme et ses gosses un peu moins quand des orages traversaient son cerveau noyé de p’tit jaune. Ses mains ne montaient pas que des murs… Un homme pressé de prendre sa retraite pour reprendre sa guitare. Décroché son rêve de jeunesse resté des décennies au clou. Trois mois après la retraite, sa guitare dans le même trou que lui. J’étais à l’école avec ses gosses. Nous étions tous de la même religion. Laquelle ? La religion des sans héritage.

          Contrairement à ce qui est écrit plus haut, quelque chose a changé de nos jours. La peur du lendemain n’est plus le monopole des sans héritage. Elle a débordé des milieux les plus déshérités. Même les héritiers de grande fortune sont inquiets. Le dérèglement climatique, le Covid, la montée des nationalismes, l’intégrisme religieux, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la crainte d’une troisième guerre nucléaire, l’agonie du vieux monde qui ne veut pas mourir, la tyrannie du bruit et du vide… La liste de ce qui génère des craintes n’est pas exhaustive. Cher Demain, vous êtes devenu une inquiétude pour tout le monde. Désormais, personne ne se sent à l’abri. Quel que soit son quartier du monde. Même les plus nantis ont peur de l’avenir. Le rempart du pouvoir et du fric n'est plus une protection. Demain rime avec incertain.

       Toutefois, il y a une certitude. Un héritage commun à toute la population mondiale : la fin programmée de notre espèce. Un jour, plus de lendemain pour l’humanité. Rien de plus naturel pour une espèce de disparaître. Rien ne dure. Excepté l’éphémère. Quelles traces laissera notre espèce ? De la boue, du sang, de la beauté. Le pire et le meilleur pendant la durée de notre humanité. Que faire en attendant votre fin, Cher Demain ?

            Honorer le présent.

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