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Billet de blog 31 décembre 2024

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Au carrefour 2025

Changement d’adresse pour la planète. Toute la population mondiale va habiter dans quelques heures à la même adresse : 2025 route du Siècle. Une cohabitation planétaire pour une année, avant de changer à nouveau d’adresse. Déménagement de calendrier en calendrier. Jusqu’à la fin de notre espèce en voie de disparition. Cher Rabat-joie, nous sommes le 31 décembre. Un jour de fête.

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Calvin Russell - Crossroads © Calvin Russell

« La joie de comprendre est plus puissante que celle d’avoir raison »

Dominique Eddé

« Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles »

Oscar Wilde

          Changement d’adresse pour la planète. Tandis que le siècle prend son quart. Toute la population mondiale va habiter dans quelques heures à la même adresse : 2025 route du Siècle. Une cohabitation planétaire pour une année, avant de changer à nouveau d’adresse. Déménagement de calendrier en calendrier. Jusqu’à la fin de notre espèce en voie de disparition. Un jour, elle aussi s’effacera ; plus le moindre représentant de l’humanité qui a habité notre vieille planète. Plus personne au rond-point toujours en orbite. Une disparition comme toutes les autres espèces vivantes. Rien de plus naturel. Avec néanmoins une différence. Notre espèce humaine est la seule qui a réussi à accélérer son départ. Notamment avec le toujours plus. Et à n’importe quel prix. La course à posséder  plus que ce qui est nécessaire à une histoire passagère. Une disparition accélérée après avoir contribué à l’extinction d’autres espèces. Mais ce propos sombre et rabâché n’est pas du tout raccord avec ce jour. Pas n’importe lequel. Cher Rabat-joie, nous sommes le 31 décembre. Un jour de fête. Alors pas un énième constat stérile. Et vision sombre de l'époque.

           Un jour qui sera fêté. Comme chaque année. Un rite très agréable entre bons copains et copines. Et je ne serai pas le dernier à participer aux festivités. Profiter de ce bon moment autour du changement d’année. Le passage en plus cette nuit au quart de siècle officiel du siècle. Mais cette année, comme la précédente, j’ai plus de mal à me lâcher. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est la décennie du massacre des Charlie : la plus importante fracture de ce pays qui a vu la division - même entre auparavant proches - régner en maître ? Leurs crayons en poussières vont flotter sur le début 2025. Mais ils ne sont pas la seule raison de cette soudaine lassitude à l’idée de fêter la nouvelle année. Pas que l’horreur de Charlie et les problèmes du pays sur la planète. Pourquoi fêter l’arrivée d’une nouvelle année en se disant qu’elle sera semblable à celle dans la boîte, voire pire ? Une lassitude sûrement engendrée par le flux encore cette année de trop d’images d’abominable sous le ciel du siècle. Photos et vidéos déversées durant 365 jours et nuits sur nos écrans. Tous ces regards qui ne fêteront pas le 31 décembre. Certains parce que morts. Et d’autres en survie. 2024 ou 2025 ; peu leur importe. Chaque seconde est leur linceul.

         Pourtant, je vais faire semblant. Comme sans doute la majorité des fêtards du jour de l’an. Tous et toutes traversées par les mêmes images de notre pire contemporain. Difficile de ne pas être atteint par ce qui se passe sur la planète. Surtout avec nos nouveaux outils de capture du réel quasiment en direct (captation avec son lot de fake news et de manipulations). Nombre d’entre nous sommes bouffé – à des degrés divers - par la douleur et souffrance lues sur certaines faces plongées dans l’horreur. Impuissants et sonnés. Chaque fois, on est KO face à l’ignoble. Peut-être encore plus quand il s’agit de gosses. De quel pays qu’ils soient. Pour ma part, l’image la plus marquante de 2024 est celle d’un gosse assis sur un matelas, dos contre un mur. Ses yeux sont posés sur une fenêtre. La photo est tellement forte qu’on a l’impression de le silence de la chambre. De quelle nationalité est-il ? Ses nom et prénom ? Sa religion ? Son sexe ? Son ADN ?

         Certains individus ont besoin du pedigree d’une souffrance pour compatir. D’abord connaître l’ identité de la blessure de l’autre avant d’accepter d’être touché. Et il y a les êtres équipés d’une empathie multiprises ; chaque être tué ou blessé est leur semblable. Capable d’avoir de la compassion pour une souffrance proche et une autre lointaine est un exercice difficile : une sorte de grand écart du cœur. Parfois impossible pour certains être touchés dans leur chair. Mais le cœur et le cerveau ont des ressources que la folie destructrice humaine n’a pas. Toutefois indéniable ; qu’on le veuille ou non, les bourreaux sont aussi nos semblables. Notre espèce est vraiment un sac de nœuds avec quelques mains qui secouent le tout pour que ça continue de s’entre-tuer. On va tout de même donner une réponse à toutes ces questions posées plus haut. Qui est donc ce jeune être assis dans une chambre ? Un gosse de la planète, le regard dans le vague.

          Peut-être sera-t-il encore assis dans cette même chambre le 31 décembre. Les yeux toujours sur la fenêtre. Dans une posture semblable à celle de la photo ; la sienne désormais jusqu’à la fin de sa vie ? Au bord de minuit, il aura peut-être un vœu sur les lèvres. Une parole de gosse murmurée ou tue. Un vœu impossible. Il le sait bien. Mais peut-être qu’en y croyant très fort, l’irréalisable pourra se réaliser. Ce n’est pas possible. Nul besoin de le lui dire. Il en a conscience. La réalité est gravée en lui : incontournable. Mais plus que l’impossible à quoi se raccrocher. Pour ne pas se foutre en l’air à 11 ans et déjà en poussières. Continuer d’être présent, sans eux. À minuit et une seconde, parmi tous les vœux de la planète ; il y aura le sien. Celui d’une chair qui ne pèse rien sur la balance du monde. Quel est son impossible ? Retrouver son bras et sa jambe arrachée par notre folie humaine.

         Ne pas fêter le réveillon ? Ça ne changerait rien. Personne ne lui redonnera son bras et sa jambe perdue. Ni à tous les autres dans son cas, partout sur la planète. Aucun dieu ni médecin ne ressuscitera la dépouille d’un ou plusieurs proches massacré par des barbares de proximité ou à distance derrière des écrans de contrôle. Les ruines des villes et villages resteront à jamais enracinées dans certaines mémoires sans toit. C’est irréversible. S’empêcher de prendre du plaisir ne changera rien à l’affaire. Si ce n’est à rajouter de l’eau aux « tueurs d’humanité ». Quel que soit leur bord et leur logo, ils ont un but commun. Certes avec des drapeaux et des modes opératoires différents. Mais l’objectif est identique. Tuer le désir en chaque être. Sans doute même en eux. Faire en sorte que l’humanité ne sorte jamais de la nuit dévoreuse d’aube. Tuer la joie et tous les printemps en nous. N’offrons pas ce cadeau aux tueurs d’humanité.

           La joie est une de nos armes de combat. Certes pas la seule. Mais elle est importante. Voire essentielle. Pour toujours conserver le goût du retour du printemps. Garder intact le réflexe de re-lever les yeux sur des nuits étoilés nous promettant de nouvelles aubes. Avec toujours l’espoir en bandoulière sur nos regards. Même si ce que nos yeux voient nous donne envie de chialer, de se taire, de cogner… Ne pas s’habituer à la nourriture du néant. Toujours garder en soi une part de joie. Comme un morceau de pain à partager. Rien que ce geste est une petite victoire. Celle de l’être qui ne renonce pas. Plus fort que les tueurs d’humanité. Bien qu’ils soient souvent victorieux. Mais des victoires qui ne sentent que la mort.

       Contrairement à la joie et le plaisir d’être ensemble. Des instants qui sentent toutes les bonnes odeurs de la vie. Un sourire, un baiser, une tape sur l’épaule, un clin d’œil, la signature sonore d’un bouchon de champagne... Tous ces moments sont autant de digues contre nos semblables cherchant à détruire. Une destruction dans quel but ? Pour plus de territoire, pour un dieu, pour plus de fric… Dans tous les cas, c’est la destruction. De l’autre et de la planète. Bien sûr, nous ne gagnerons pas contre eux par la joie. Néanmoins la négliger serait leur fournir une arme de destruction de plus. Et ils en disposent déjà de beaucoup. Mais pas de la joie. Elle échappe à leur mécanique destructrice. La joie construit et reconstruit. Même sur des ruines.

        Malgré un début difficile et rabat-joie, ce billet tente une échappée positive. Parce qu’au fond, il n’y a pas d’autre solution. L’espoir reste un des meilleurs moteurs de notre humanité ; grâce à lui qu’elle s’est toujours relevée. L’histoire nous en offre nombre d’exemples. Parfois certains êtres représentent l'espoir ; ils ou elles sont un de ces moteurs. Des porteurs d’espoir. Parfois des êtres qui le porteront jusqu’au bout. Sans s’en servir d’un marche pied pour leur ego. Juste animés par la passion de l’humain. Tandis que d’autres – bouffés par leur ego tour à tour pathologique et pathétique - passeront de moteur à frein. Mais dans tous les cas, l’espoir est un vœu récurrent. Et pas uniquement la nuit du passage de relais de deux années. Toutefois, ce moment-là est peut-être plus symbolique pour rappeler la présence de cet essentiel. L’espoir est la langue de l’humanité. Depuis la nuit des temps. L’espoir est aussi la langue de chaque solitude passagère. Ce qui nous pousse à nous lever chaque matin. Continuer le chantier du vivant. Se raser, se maquiller, se débarbouiller, face à nos miroirs. Avec nos regards alimentés par le chaos des écrans sur le monde.

       Pour aider à la propagation de cette langue universelle, rien de tel qu’une bonne dose de joie. Sans nécessairement que ce soit une fête dite sur commande. La joie peut se vivre à 1, à 2, à plus, ici et n’importe où. Dans le bruit ou le silence. Pas de règle ni de jour pour la joie. Si, peut-être une. Laquelle ? Se méfier des rabat-joie. Celles et ceux vous rappelant que le monde va mal. Comme s’ils étaient les seuls à être au courant. Éviter soi-même (comme une trop grande partie de ce billet) d’être ce rabat-joie de service. Même si c’est plus dur pour certains individus ayant peut-être plus mal au monde, important d’essayer de tenir son désespoir en laisse. Ou « défaiter » le changement d’année en solo. Et laisser les autres passer de beaux moments. Une grande majorité de fêtards et fêtardes conscientes de la douleur du monde. Sans céder au désespoir. Et misant sur la joie commune. Pour rester toujours du côté des vivants. Et donc de l’espoir.

         Avec toujours une direction poésie à chaque rond-point ou carrefour. Sans nulle obligation à chaque fois l’emprunter. On n'a pas toujours le temps ou le désir de prendre cette route. La poésie ne peut être une obligation. Comme tout ce qui est beauté. Mais rassurant de savoir que la poésie est une direction possible. Comme toutes les autres indispensables sur notre rond-point unique et universel. Laissons la parole au GPS de l’intime. Le doute première sortie à droite, l’empathie deuxième sortie, l’amour troisième sortie, l’amitié quatrième sortie… Refaites un tour pour essayer d’attraper la queue du Mickey fin 2024. Prochaine sortie: celle de votre choix.

          Bonne route 2025.

NB : Pour la traduction des paroles de la chanson interprétée par Calvin Russel.  D'autres l'ont chantée. La première version attribuée à Robert Jonhson

Et en écho, la version de Tracy Chapman :

Tracy Chapman - Crossroads (Official Music Video) © Tracy Chapman

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