Il a pas mal été question, après le passage de Jean-Luc Mélenchon à l'émission Des paroles et des actes le 26 mai dernier, de la manipulation à laquelle s'est livré (ou, selon les points de vue, de l'erreur qu'a commise) le journaliste François Lenglet en mettant en cause l'invité, par Evo Morales interposé. Mais il me semble qu'on n'a pas tout dit sur cet "incident" et sur la conception de son métier que se fait M. Lenglet.
Selon François Lenglet, Evo Morales, président de la Bolivie, serait au nombre des personnalités politiques que Mélenchon prend pour "exemples", au même titre que Hugo Chavez, président du Venezuela jusqu'à sa mort en 2013 et Alexis Tsipras, premier ministre grec. Or le Venezueala de Chavez est au bord du gouffre, Tsipras n'a pas tenu ses promesses (je cite de mémoire, car le replay de l'émission est "momentanément indisponible" voir ici le Huffington Post, et ici le site de l'émission) et pour couronner le tout Morales est "un corrompu", sa "petite amie" ayant bénéficié selon François Lenglet de 500 millions de dollars de contrats publics.
Au bout de quelques jours François Lenglet a dû battre en retraite et présenter une "mise au point" en forme de mea culpa à l'ambassade de Bolivie (c'est ici), dans la mesure où il s'est avéré que le parlement bolivien avait, deux semaines plus tôt, blanchi Evo Morales des accusations de trafic d'influence lancées contre lui, comme le rapporte par exemple Le Figaro. D'où aussi le retrait du replay évoqué plus haut, destiné à être remplacé "très prochainement" par "une nouvelle version" (sans doute expurgée de l'accusation de M. Lenglet).
Cet épilogue n'épuise pas la question. Au-delà de la pratique approximative (en mettant les choses au mieux) du journaliste, qui aurait dû se renseigner sur l'état des accusations portées contre le président d'un pays étranger, et tenir compte du verdict du parlement au moins pour formuler sa remarque de façon moins péremptoire, le problème est aussi le choix de M. Lenglet de trois personnalités censées être des "modèles" ou des "exemples" pour M. Mélenchon. Il aurait pu retenir d'autres "exemples", tels que Rafael Correa, Bernie Sanders, Jeremy Corbyn, Zoé Kostantopoulou ou d'autres encore, personnalités pour lesquelles M. Mélenchon a exprimé de l'intérêt ou de la sympathie. Aucun n'est à l'abri de critiques bien sûr, mais aucun n'offrait une cible aussi grosse que les trois vainqueurs de la sélection, tous trois contestés pour de bonnes ou de mauvaises raisons, et choisis à la seule fin évidente de mettre en difficuté l'invité.
C'est une fort curieuse conception de son rôle que semble avoir M. Lenglet. Le journaliste qui fait son boulot aide ses lecteurs (ou spectateurs) à comprendre, par l'information qu'il apporte et les analyses qu'il propose. Ici qu'y a-t-il à comprendre ? Rien, sauf que Jean-Luc Mélenchon, s'associant (ou associé malgré lui) à un président qui a conduit son pays à la ruine, à un premier ministre parjure et à "un corrompu", ne peut être qu'une sorte d'incarnation du mal.
François Lenglet pourrait poser des questions exigeantes à son invité (questions qui pourraient éventuellement réussir à le mettre en difficulté) et lui permettre ainsi de s'expliquer, et aux téléspectateurs d'y voir plus clair et de se former une opinion. Au lieu de quoi il s'assume comme polémiste et adversaire politique. Ce n'est pas du journalisme, c'est un tournoi dans lequel il faut désarçonner l'adversaire par tous les moyens. Encore faut-il les choisir soigneusement ...