Je suis de mauvais poil, le premier mai, on m’a réveillé à coup de tondeuse, le voisin de gauche, celui de droite, lui, a enchaîné sur un tri de gravats qu’il y avait dans son garage, et puis le premier s’est mis à passer l’aspirateur au moment de la sieste. Le bruit en stereo, le travail aussi. Alors voilà, je vais vous paraître radical, mais j'suis contre la fête du travail, je voudrais même que ce ne soit plus férié. Bon, je rigole... Mais bon. Les gens m’emmerdent. On leur file une journée le premier mai, ils font quoi? une grasse mat? Une partie de cluedo? Une partie de jambes en l’air?
MÊME PAS

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Bah oui, en même temps on leur dit depuis des décennies que c’est la fête du travail, alors que c’est la journée des travailleuses/ travailleurs… Mais ça tout le monde s’en branle désormais. La valeur travail… suinte désormais de tous côtés, et le premier mai, les gens qui n’en foutent pas une, c’est quand même eux les héros du jour, bah ils sont quasiment en voie de disparition: les commerces sont souvent ouverts, et même ceux qui ont leur journée, bossent. Et c’est sociologiquement intéressant (quoiqu'assez navrant), parce que c’est très culturel, cette vision de la vie, c’est très français: ne rien faire, c’est honteux, même chez soi. Quand on est un peu “quelqu’un”, on fait. Non? Regardez, la première (allez la deuxième) chose qu’on demande à quelqu’un dans la rue, ou au bar, c’est
“qu’est ce que tu fais dans la vie?”
Non?
Alors si tu réponds, "bah je fais des siestes, j’aime les fleurs, la randonnée, faire l’amour, dessiner, manger, lire, écouter de la musique, regarder la nature, faire l'amour dans la nature"; on va me répondre… "Euh… Ouais, ok ... Mais en vrai, tu fais quoi?" On te demande ce que tu fais "réellement" pendant 35h, pas les 133 restantes qu’a une semaine. Et oui, c’est le principe du libéralisme: faire de toi un objet utile à la société, donc, de t’essentialiser à ton travail, à ton tripalium (du nom de cet outil de torture) ce qui te rend utile (je vous conseille ce bouquin, l’utilité de l’inutile). Alors que fait le citoyen modèle quand il ne travaille pas, comme le premier mai? Il TRAVAILLE.
Voilà, donc c’est la réflexion que je me faisais du fond de mon indolence matinale, brisé dans mes rêves d’oisiveté par mes laborieux voisins. Je ne peux pas leur en vouloir, ni en vouloir à tous ceux qui, le reste du temps, font acte de présentéisme… Vous ne connaissez pas? Joli néologisme, n'est-ce pas? C'est construit sur l'absentéisme, avec ce suffixe bien dépréciatif et accusateur qui permet de débusquer le mauvais citoyen (islamogauchisme, entrisme, islamisme, terrorisme, généralement on accuse à peu près les mêmes de tous ces termes, pris au hasard, mais l'absentéisme, c'est quand même un des vices les plus scrutés des gouvernants). Ça aussi c’est bien français, le terme présentéisme a été inventé pour désigner les français qui travaillent plus qu’il ne le faut, et ce sont les champions d'Europe, comme le révèle cet article. Mais pas par gaité de coeur: pour éviter (ou anticiper) les éventuelles remontrances, les sanctions, les réflexions, le harcèlement qui pourraient découler d'une absence. 1/4 des français malades vont donc au travail, de peur d'être rétrogradés dans leur "utilité". On l'a bien avalé à longueur d'émissions et de débats: le travail est une VALEUR CARDINALE, le travail c’est la santé, et le travail rend libr.. Euh je m’égare… Quoi que. C'est une phrase de Catherine Vautrain, dernière ministre du travail en date, qui sonne étrange...

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Il est essentiel de rappeler que le premier mai comme fête du travail n’est pas, contrairement à la journée des travailleurs, un hommage à ces ouvriers, à ces artisans infatigables qui ont arraché leur droit de repos annuel, non, c’est une ode au travail acharné, que les enfants de la nation ont devoir d’honorer pour ne pas sombrer dans le judéo bolchévisme et son lot de fainéants et d’oisifs qui vivent sur le dos des autres; je tiens ça d’une vraie affiche (description), et ce n’est pas sans rappeler les nombreuses lois travail et mise à l’index des sans emploi, vus comme des vauriens, des parasites qui sucent jusqu’à la moelle les gens de bonne volonté qui vont donner de leur sueur pour le patronat… Patronat qui en passant, petite info venu d’oxfam cette semaine, gagnent en moyenne 130 fois le salaire des employés. Voilà comment une machine de guerre a permis, par l’intermédiaire d’une journée, dévoyé un hommage au repos hebdomadaire à la promotion d’un mode de vie au service de l’activité et du dynamisme permanents, de l’utilité et de la mise en mouvement, de l’agitation permanente pour… être quelqu’un. Pour les autres, ceux qui ne sont rien… Et bien trouvez vous un emploi. Le muguet, c’est pareil, c’était l’églantine, avant. Mais c’était trop rouge, trop coco, trop islamogaucho.

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Vive le travail, quoiqu’il en coûte, jusqu’à ce que la mort nous sépare…Et oui, cette semaine, une autre étude est tombée: la France est championne d’Europe des morts au travail… Oups. Mince. Ça alors… Supprimer des normes, c’était pas pour le bien-être des travailleurs? Vous voulez dire que la multiplication par dix de l’écart de salaire patron-employé a peut-être un lien avec toutes ces lois travail qui ont assoupli les règles de sécurité et amoindri les recours des travailleurs en cas de traitements abusifs? Bah ça alors. On fête ce premier mai le 100e mort au travail. J’espère qu’à l’Elysée, ils ouvriront une des 11000 bouteilles de champagnes commandées la semaine dernière, pour fêter ça.