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Billet de blog 7 mai 2020

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Rentrée sous covid: les sacrifiés de la relance

Contre toute recommandation sanitaire, et pourtant prévisible, la reprise des cours dans des conditions quasi-carcérales rappellent l'enjeu barbare de la culture du management: le retour au travail coûte que coûte.

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Le retour à l'école, la comptine libérale érigée en nécessité sociale

Conformément aux mesures de fermeture d'école, prises dans la confusion générale et dans un flot de contradictions gouvernementales, la réouverture est tout aussi ubuesque, pour ne pas dire scandaleuse. Les préconisations sanitaires drastiques condamnent à l'isolement forcé des millions d'élèves. Nécessaires, elles eussent été purement inutiles si l'Etat avait suivi les recommandations du Conseil scientifique, qui recommandait, tout comme les voisins européens durement touchés, la reprise en septembre. Ont été invoqués, depuis les annonces de retour au travail déconfinement, des raisons qui touchent au coeur du métier d'enseignant: l'égalité, la lutte contre le décrochage scolaire. Autant de belles valeurs dont les pouvoirs publics n'avaient pourtant que faire, jusqu'au surgissement de la pandémie. 

Illustration 1

Mais voilà. Bruno Le Maire l'a redit, dans un aveu implicite, une semaine avant le grand jour: il faut relancer l'économie (1). La rentrée, longtemps associée aux besoins scolaires, n'est plus que l'arche de Noé pour libérer la masse salariale confinée. Et je pèse mes mots: "masse salariale", cette appellation managériale réduit tout salarié à sa fonction utilitaire: produire de la richesse. À ce titre, on se rapproche davantage des Etats-Unis, pourtant moqués pendant cette crise, que des exemples Italien et Espagnol. L'école n'est, en ce sens, qu'une garderie nationale, avant d'être un lieu d'apprentissage. Et c'est bien là un problème qui dépasse la crise actuelle, ce problème, c'est la définition du rôle de l'école, réécrite au fil des années, devenue un lieu de garde d'enfants avant d'être celui de l'épanouissement intellectuel; à ce titre j'invite à lire cet article > (2). L'intention, le rôle qu'on lui attribue en dit long, évidemment, sur l'image négative de l'enseignant auprès de l'opinion publique, et sa piètre reconnaissance par l'Etat. Mais si l'image de l'école est tout à fait dévoyée, cette rentrée post-corona fait voler en éclats les derniers doutes sur l'inconsidération d'un métier pourtant si nécessaire à la santé de notre démocratie.

Une rentrée post confinement: le goulag en démocratie

Illustration 2

Le protocole sanitaire imposé aux enseignants pour que cette rentrée ait lieu est drastique, pour ne pas dire intenable. Ecole aseptisée, masques, distanciation sociale, interdiction d'utiliser des jeux... On est loin du retour jovial raconté ici ou là pour apaiser les esprits. Les images, comme celle-ci dessus, d'une école en Tarn Et Garonne, fleurissent sur les réseaux sociaux. Les marquages au sol, les sens interdit et des tables individuelles ont remplacé les tables rondes, les espaces de jeux et ce qui fait l'identité d'une classe: son environnement. C'est très simple: les enfants sont privés des ressources les plus élémentaires de l'école, celles qui en font un lieu de socialisation essentiel: livres, jeux, vélos, feutres, activités de groupes y sont désormais bannis. La liste est longue: le protocole de 63 pages, écrit par des technocrates qui n'ont jamais fréquenté d'école depuis leur CM2, réduit l'espace de liberté de l'enfant à 4 mètres carrés. On devine aisément les conséquences psychologiques sur des êtres qui n'ont pas compris toutes les raisons de leur rentrée, ni la mise en oeuvre des gestes barrière, et qui apprennent le langage et les marqueurs sociaux au contact des autres (notamment en maternelle). Où sont passés les spécialistes du bien-être qui préconisent le jeu et la manipulation, la bienveillance et la préservation de la santé psychologique de l'enfant? Je ne sais pas. Ils sont peut-être confinés avec Michel Cymes, le spécialiste en grippettologie... 
Évidemment, le retour à l'école dans ces conditions ne laisse aucun doute sur réelles raisons sur les causes de cette réouverture. Et elle met les (ir)responsables face à leurs contradictions. Jean-Michel Blanquer, invité sur France Inter, a eu droit à une question "embarrassante", quoiqu'assez naturelle: que faut-il faire à un enfant qui pleure? Le laisser pleurer, sans réconfort? La réponse du sinistre ministre de l'écologie est éloquente: "euhhh... Bin... Faut être pragmatique". Vocabulaire startupien et bégaiement. Hésitation logique. L'attitude que l'on doit avoir avec les enfants est déraisonnable, parfaitement contraire à notre étique. Bonjour la sécurité émotionnelle de l'enfant. Pauvres gosses.

Illustration 3

L'exception française

Je vous vois venir. Si vous pensez que c'est une fausse excuse pour ne pas repartir au charbon, dites vous que le temps de travail , ou plutôt devrais je dire, de télétravail, s'est allongé durant le confinement, ce qui d'ailleurs est inversement proportionnel au salaire qui lui, a baissé, car les primes n'étant pas une "priorité", seront à nouveau versées en septembre... Je vous vois encore venir... En Allemagne, ils ont repris. C'est ce qu'a dit Jean-Michel, épidémiologiste à ses heures perdues, à qui il a visiblement échappé que l'Allemagne avait eu 5 fois moins de victimes. D'ailleurs, en passant, l'Allemagne, au moment où j'écris ces lignes, réfléchit à un reconfinement d'urgence, car le nombre de contaminations est reparti à la hausse... De plus, si l'on prend des pays où le virus a frappé avec la même envergure - l'Espagne et l'Italie, la rentrée est repoussée à septembre, avec pour l'Italie, une reprise très progressive. Le virus n'est visiblement pas le même partout. Il est vrai que nous disposons d'une souche un peu différente. Le virus du profit. 

Illustration 4

La culture managériale, fléau des temps modernes

Cette culture du management qui s'est imiscée dans toutes les pores du service public, était déjà dénoncée depuis plusieurs mois, depuis plusieurs chamailleries grèves. je ne vais pas revenir sur l'hôpital, dont les milliers de lits ont été supprimés depuis des années, qui a manqué de masques malgré l'alerte donnée en décembre, malgré 1 an de grèves massives. D'ailleurs, à ce jour, les grandes annonces pompeuses d'Emmanuel Macron en faveur d'un investissement massif dans la santé demeurent toujours lettre morte. La communication, l'atout managérial, grande bulle d'air aussi... L'école est dans la même indigence. Des fermetures à la pelle, jusqu'aux réformes d'un bac "à la carte" (passé en force), l'école façon Blanquer, ancien homme de main de Sarkozy, est à l'image même du management: faire plus avec moins de moyens, chercher l'efficacité, remonter dans les tableaux PISA et classements en tous genres, être les "MEILLEURS", mais pas tous égaux: la prime au mérite revenue à la mode en est la quintessence. C'est cette culture qui prime dans la société, dans les médias, à grand renfort de dénigrements permanents du service public. D'ailleurs, de service public, l'école n'en a que les vestiges: depuis janvier, le statut à proprement parler du fonctionnaire n'existe plus. La loi est passée inaperçue (il ne faudrait pas fausser le refrain médiatique du "privilégié" de fonctionnaire). Depuis janvier, le professeur est licenciable. La culture managériale façon Macron, ce n'est pas que le sens des affaires, c'est aussi celui du cynisme. Aussi, cette "reprise" bénévole (mais pas trop) s'est vite trouvée défendue et érigée en principe indépassable, au mépris même des vies humaines qui inévitablement, selon les modélisations scientifiques, feront face à une deuxième vague, et des milliers de morts (3). mais que sont 8000 morts, à côté de la croissance?... Cette rentrée, c'est une belle façon d' applaudir "nos aide soignants, qui subiront cette deuxième vague avant même de se remettre de la première. 
Chassez les jours heureux, la startup nation revient au galop.

Alors un conseil: si vous tenez à vos gosses, ne les y mettez pas. 


(1) https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/30/bruno-le-maire-dessine-les-contours-de-l-economie-francaise-d-apres-crise_6038251_823448.html

(2)https://www.huffingtonpost.fr/entry/non-le-coronavirus-ne-transforme-pas-leducation-nationale-en-garderie-nationale-elle-letait-deja_fr_5ea9b246c5b61c645b83bc98?ncid=other_facebook_eucluwzme5k&utm_campaign=share_facebook&fbclid=IwAR3SdjQDX4qrBnTuf-j2cDrkQf-oRTEQDZ654C4hMfNLAv9IxopxWZzxfDE

(3) https://www.lavoixdunord.fr/748628/article/2020-05-05/dates-scenarios-ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-deuxieme-vague-de-l-epidemie-de

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