La claque électorale dont nous gratifie l'éditocratie depuis la proclamation des résultats est une révélation. Partout, sur les réseaux sociaux, alors que naît une vague volonté de "faire barrage au FN", l'éternel épouvantail politique, se met en place une révolution. Non pas par les urnes, dont le second tour n'est qu'une confirmation affligeante du premier, avec comme choix substantiel le seul libéralisme de Macron. Non, pas par les urnes, mais par l'abstention, c'est-à-dire par l'évitement des urnes. C'est une triste chose que de s'y résigner, mais c'est selon moi la plus logique, la plus pertinente, et la plus rationnelle des décisions.
Le programme de Macron, partiellement mis en oeuvre durant le quinquennat indigent du PS, est la preuve irréfutable que le relatif succès de Marine Le Pen est directement imputable à la politique désastreuse des sociaux-libéraux. A mesure que les lois hostiles aux travailleurs, indulgentes à l'égard des grandes entreprises, voire complices de leurs profits honteux (augmentation irrationnelle des dividendes et de la fraude fiscale) a, par effet immédiat de causalité, engendré dans la classe ouvrière et parmi les classes défavorisées, une immense opportunité électorale pour le FN, qui, par le truchement d'un discours faussement social, mais vraiment identitaire, est parvenu à les retourner contre les gouvernants. Disons les choses clairement: le libéralisme est le terreau du FN, le nourrit, à mesure qu'il détruit les emplois, qu'il permet la mondialisation sauvage, au mépris de toute morale. Si le FN n'excelle guère en matière de morale, il représente cette frustration permanente du peuple livré à lui-même. Le libéralisme de Macron, que l'on appelle pudiquement "social-démocratie", n'a de social que l'image, et n'a de démocratique que le nom. Le néo-libéralisme, celui du "travailler plus" et du "libérer davantage l'entreprise", est le pourvoyeur officiel du FN, son sponsor. Voter Macron, c'est nourrir le Fn, lui donner toutes ses chances pour la prochaine fois. Le libéralisme est responsable de la montée des fascismes, parce qu'il est lui-même une espèce de fascisme: modéré, tout en nuances, mais extrêmement violent dans sa conception du travail, meurtrier dans son inaction. Le libéralisme et le fascisme de Le Pen sont les deux faces d'une même pièce. Pas l'un n'existerait sans l'autre: Macron ne profiterait pas d'un tel score si l'épouvantail Fn n'était brandi de toutes parts, et le FN ne serait pas aussi fort si le système économique destructeur que prône Macron n'était pas passé par là.
Et qu'on ne vienne pas m'objecter que je donne toutes ses chances au FN; l'argument est aussi creux que le programme de Macron, et aussi dangereusement réducteur qu'un discours du FN. Ne pas voter contre le FN, c'est aussi exprimer un choix, qui n'est ni une adhésion au FN (sinon je voterais pour lui), ni une indifférence, comme d'aucuns aiment à se représenter les abstentionnistes.
De ce fait, et en tout état de cause, il me semble difficile de faire un choix pour contrer un autre choix, tout aussi contestable. Mon abstention est une chance donnée à la démocratie, à la vraie, celle de pouvoir encore donner, son choix, par l'absence de choix, d'exprimer une idée, un refus net, sans aller voter. Si, par malchance, l'extrême droite bat l'extrême-centre, alors la bulle dont elle bénéficie éclatera aussitôt: elle ne fera rien. Son programme est fondé, à l'instar de Trump, sur du vent, des paroles flatteuses, des exhortations nationalistes. Trump recule chaque jour devant son programme invraisemblable. Le Pen en fera autant, et laissera sa place à d'autres, aux prochaines échéances. Tant mieux, ou tant pis. C'est le risque démocratique. Je prends le choix de courir ce risque, et de rester en accord avec mes conviction et ma colère.
Qu'ils se démerdent entre eux!
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