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Billet de blog 12 mai 2021

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Bouygues Telecom : la magie de la résilience en pratique

Bouygues Telecom fait subir une pression aux abonnés box qui ont une connexion internet via un câble coaxial. Soit ils acceptent une offre payante dégradée via l'ADSL, tout en perdant l'accès à la télévision, soit ils résilient leur ligne et... payent pour les frais de résiliation. Une rupture de contrat maquillée et abusive.

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"Allo, Mme D. ?". "

"Oui, je suis Mme D.".

"Bonjour c'est le Service Client Bouygues Telecom. Vous n'avez pas répondu à nos courriels concernant la cessation de votre offre actuelle concernant Internet via la fibre coaxiale." 

"Ah non, je n'ai peut-être pas lu le mail concernant cette question. Il s'agit de quoi ?"

"Nous allons cesser à partir du 13 juin de vous fournir un accès internet via la fibre coaxiale. Nous vous proposons donc une offre ADSL mais sans la télévision."

"Sans la télévision ?". 

"Oui, sans la télévision. Cela vous coûtera 15,99 euros par mois. Pouvez-vous me donner votre accord ?".

J'ai mal à la tête, je suis un peu malade, je réfléchis quand même 1 seconde et je réponds :

"Euh non, il faut que je vois ça avec mon mari. Il faut qu'on y réfléchisse."

Très pratique l'argument "il faut que j'en parle à mon mari", en plus, j'en ai un.

"Je peux vous rappeler demain ?"

"Oui, à 13h, il sera là."

Je raccroche et avec ma tête embuée, je réfléchis à ce que je viens d'entendre. Bouygues Telecom vient de me dire que mon accès à internet va être très ralenti par rapport à ce que nous avons actuellement et que je n'aurais plus la télévision. Je me renseigne, et comme j'ai effectivement un mari qui télétravaille partiellement à la maison pour cause de pandémie, je lui en parle. On se met d'accord. Nous payons actuellement 23 euros par mois pour la box, avec la télévision, hormis les trois forfaits mobile que nous avons chez eux. Au total nous payons environ 120 euros par mois chez Bouygues Telecom. Et là, on me propose une connexion de pénurie avec un service en moins (la télévision) à presque 16 euros au lieu des 23 euros pour la box via la fibre coaxiale. Et il fallait que je donne mon accord de suite, bien sûr, parce que si on réfléchit un peu, on se rend compte que c'est une sacrée baisse de service. L'ADSL c'est 10 à 50 fois moins rapide que la connexion Internet via le câble coaxial. La télé, même si les programmes proposés nous désolent régulièrement, nous la regardons tout de même.

Le lendemain, 13h20, la personne du Service Client de Bouygues me rappelle, mon mari est là, je mets le haut parleur. Notre interlocutrice répète ce qu'elle m'a annoncée la veille. Une précision qu'elle a rajouté tout de même entre les deux appels : "Nous avons envoyé un courrier pour vous informer de la situation." Non, nous n'avons pas reçu de courrier. Rien. Entre temps, nous nous sommes renseignés, nous sommes éligibles à la box 4G, bien plus rapide que l'ADSL.

"Non non, vous n'êtes pas éligible à la box 4G" nous dit la dame.

"Si, nous avons vérifié".

Mais non, Bouygues ne veut pas nous proposer une box 4G. "Bon et bien nous n'allons pas rester chez Bouygues alors" lui répond-on.

"Dans ce cas, vous paierez des frais de résiliation."

Cela s'appelle du chantage. En terme commercial, le service sur lequel nous nous étions mis d'accord n'est plus respecté par Bouygues, nous n'avons pas le choix : avoir une connexion très dégradée (ne plus pouvoir télétravailler) et ne plus avoir de télévision... Tout en payant un abonnement seulement 7 euros moins cher que l'actuel dont nous nous satisfaisions.

"De notre côté nous maintenons notre contrat puisque nous vous proposons une connexion ADSL. C'est vous qui prenez la responsabilité de la résiliation du contrat et donc vous devrez payer les frais de résiliation", nous dit la salariée de Bouygues Telecom.

Les jeux sont faits. La seule solution qui s'offre à nous c'est de voter avec nos pieds... tout en étant financièrement sanctionnés. Cela s'appelle de l'achat forcé, de l'intimidation. Après tout, nous ne sommes que des individus, certes nombreux dans cette situation, mais face à Bouygues Telecom, nous ne sommes "rien". Nous faisons part à notre interlocutrice de notre colère de devoir payer des frais de résiliation pour une rupture de contrat dont nous sommes les victimes. Mais évidemment, dans le contrat que nous avons chez Bouygues, tout a été prévu par des experts pour que ce soit le client qui paient les frais de résiliation, et ce même si l'origine de la dégradation de la fourniture d'accès internet et la rupture de l'accès à la télévision est du fait de Bouygues lui-même.

Au final, quelque soit la solution, nous tous, toutes les personnes dans la même situation que nous, allons leur rapporter pas mal d'argent. C'est vrai que c'est peu au regard des bénéfices du groupe  -696 millions d'euros en 2020- Bouygues dont les Telecom sont, après le BTP, le deuxième plus gros marché du géant. Et puis Bouygues Telecom est en pleine négociation avec ses concurrents pour se faire racheter, alors finalement, pourquoi ne pas plumer les consommateurs que nous sommes jusqu'au bout. C'est SFR, qui installe la fibre dans le village où nous habitons (et chez qui nous allons peut-être aller) qui va racheter Bouygues dans quelques mois, qui sait ? Alors les responsables et financiers de chez Bouygues Telecom n'en ont pas grand chose à faire de leurs clients mécontents armés de leur seul fibre coaxiale puisqu'au final Bouygues va faire beaucoup d'argent avec cette opération de revente à un concurrent.

Mais revenons à notre "micro" problème. La conversation s'est tendue lorsque j'ai fait croire à mon interlocutrice que j'avais enregistré notre conversation. C'est illégal puisque je ne lui ai pas demandé son autorisation. En jouant le jeu de l'illégalité, je jouais sur le même registre qu'elle. Mais je ne suis pas une salariée (même précaire) qui parle au nom d'une méga société qui impose ses règles. Nous sommes toutes deux des pions, mais sur l'échiquier, elle était, dans cette circonstance précise, en position de force. Et avec mon soi-disant enregistrement de notre conversation, je la déroutais, je changeais la donne. Comme elle, je jouais le registre de l'illégalité avec le langage comme arme, elle était la représentante ou plutôt la porte-voix d'une société puissante. Car oui, Bouygues n'est certainement pas plus respectueux des travailleurs sur les plateformes d'appel qu'il ne l'est avec des clients jugés peu -ou plus du tout- intéressants, ceux qui ont donc, dans mon cas, une connexion internet via un câble coaxial. Mon interlocutrice s'est donc mise en colère, elle est devenue menaçante. Alors je me suis mise à chanter "Frère Jacques". C'est le premier air qui m'est venu à l'esprit. Quand j'ai entamé "Sonnez les mâtines, sonnez les mâtines", il y a eu un silence. J'en ai profité pour poser la question : est-ce qu'on peut parler maintenant ? Elle m'a répondu. "Non, c'est terminé." 

"Agile, responsable, résilient"*... Martin Bouygues croit-il vraiment à ce qu'il dit dans son communiqué de Presse sur les Résultats du Groupe Bouygues en 2020.

"Agile" ? Certes, comme l'histoire que je viens de raconter le montre, chez Bouygues, on est agile. Et zou, un tour de passe passe et voilà deux pions dans le même panier, la cliente et la salariée, on floue les deux, mais pas de la même façon. "Responsable" ? : hum... tout dépend du point de vue où on se place. Y-a-t-il une dimension éthique dans la notion de responsabilité telle que vous la définissez Mr Bouygues ? Et enfin, "Résilient" ? Hum... La pandémie liée à la (ou au) Covid 19 a encore accentué les inégalités. La crise sanitaire n'a pas mis à mal le système néolibéral. Les plus riches, dont les multinationales, se sont enrichis durant l'année qui vient de s'écouler tandis que toute une frange de la population s'est encore plus appauvrie et/ou précarisée. Il ne s'agit pas de résilience Mr Bouygues dans le cas de l'entreprise que vous co-dirigez, c'est l'esprit même du néolibéralisme, à défaut d'avoir une éthique. On parle de résilience pour les individus. D'ailleurs, à propos de résilience, avec mon mari nous nous sommes décidés à résilier notre abonnement. 

Muriel Andriocci

* Source :

http://www.bouygues.com/wp-content/uploads/2021/02/le-communique-de-presse.pdf

« Dans un contexte difficile de crise sanitaire, le Groupe s’est montré agile, responsable et résilient. Les modèles d’affaires de nos activités qui sont positionnées sur des besoins essentiels (se loger, se déplacer, communiquer, s’informer, se divertir) ne sont pas remis en cause. Tous nos Métiers ont prouvé leur capacité de rebond rapide grâce aux efforts d’adaptation qu’ils ont déployés et qui ont produit leurs effets dès le mois d’avril 2020. Cette performance n’aurait pu être accomplie sans l’engagement sans faille de nos collaborateurs, la qualité du dialogue social que le Groupe a noué depuis de nombreuses années avec ses partenaires sociaux et la solidité de notre structure financière.
2021 sera encore marquée par la pandémie, dont nous espérons cependant sortir progressivement. Nos Métiers vont accélérer leur développement et nous allons renforcer nos actions pour préserver la santé et améliorer le bien-être au travail de nos collaborateurs, encourager la mixité, déployer notre stratégie climat et protéger la biodiversité. » 

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