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Billet de blog 1 mai 2023

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Chapitre-5 : L'impossible deuil

Je publie ce court extrait d'un texte qui relate ma propre expérience d'une mort volontaire, choisie et voulue. Et contrariée par la société. Le texte intégral à paraître s'intitulera "Je vous raconte ma mort".

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(...) Depuis que je suis revenu chez moi, il m’a d’abord fallu plusieurs jours pour digérer un tant soit peu que mes amis les plus proches aient fait avorter, sciemment et contre ma propre volonté, mon choix de mettre moi-même fin à ma propre vie, ce que je considérais comme l’ultime présence dans cette vie. 
Et peu à peu j’ai tout de même pu remonter la pente. Notamment en replongeant dans ma passion, l'écriture. Il me fallait reprendre, un à un, tous ces témoignages que j’ai publiés, ainsi que ceux encore inédits, à propos de ce terrifiant enfer où on m’a jeté sans que je m’y attende le moins du monde. 
Et mieux encore, outre ce travail éprouvant, j’ai même eu de belles inspirations, qu’on pourra retrouver dans des poèmes et chro­niques qui n’ont, à part quelques uns et quelques unes, rien à voir avec la question de ma mort. Au bonheur de mes lecteurs et lectrices, et au bonheur des artistes qui sauront mettre des notes de musique sur les mélodies secrètes de mes mots et rimes. 

Mais malgré tout, je n’ai plus de goût à rien. 
Je me sens en quelque sorte comme en deuil. En deuil de ne pas déjà être mort. Comment le dire autrement ? Disons que je me sens comme en défaut de ne pas être ailleurs, un ailleurs éthéré que mon imagination a échafaudé rêve après rêve, si j’ose dire, et où je serais censé n’être plus qu’une belle nuée des plus beaux souvenirs de ma vie. 
Même Besançon, qui m’a toujours passionné sans jamais la moindre altération, la voilà qui ne m'intéresse plus. Je n’éprouve plus aucun plaisir à refaire les trajets qui m’ont toujours émerveillés, qui ont longtemps bonifié ma vie à Besançon, même aux pires moments de ma vie. 
Et que Besançon me le pardonne. C’est que, depuis que j’ai décidé de mettre fin à mes jours, j’ai mis longtemps à me faire une idée définitive de Besançon. Celle que je pensais garder pour l’éternité. Oui j’ai mis longtemps à me remémorer, un par un, mes plus beaux souvenirs de Besançon. Et au final, bien que j’aie eu de très beaux souvenirs de Besançon tel que j’y suis et telle qu’elle est actuellement, il n’en reste pas moins que les souvenirs les plus nombreux, les plus beaux, les plus émouvants, les plus féeriques, ce sont des souvenirs de Besançon d’avant. De Besançon du temps de ma jeunesse. 
Alors me balader dans Besançon d’aujourd’hui, c’est comme déprécier mes belles impressions de Besançon. Exactement comme quand j’étais retourné dans ma vallée natale après vingt ans d’exil forcé, et où tout avait été dégradé, plus rien ne me rappelait mes souvenirs d’enfance. 
Il en est de même pour les gens. Pourtant, avant de partir définitivement, je ressentais le besoin de dire un adieu apaisé à certaines personnes qui ont marqué ma vie. Mais au final, j’y ai renoncé, par peur que le moment où je les aurais revues n’abîme les souvenirs que j’ai mis longtemps à sélectionner, à écrémer, et à ancrer définitivement dans ma mémoire. D’autant que je m’étais fixé une règle d’or : ne pas me donner la mort tant qu’il y aura en moi un seul mauvais souvenir… qui risquerait, tel un virus, d’infecter les autres, les beaux, les bons.
Les très rares personnes avec qui j’arrive encore à discuter quand je les croise dans les rares moments où je sors dans la rues, ce sont les personnes que je connais peu, qui ne m’ont marqué d’aucune sorte, qui ne m’ont laissé aucun souvenir qui vaille la peine de m’accompagner dans mon envol définitif. Alors un petit souvenir ou un autre avec eux ne change rien à mon état d’âme.
Oui, je me sens comme si je n’étais plus là, comme si personne ne m’avait  fait rater mon envol, mon bel envol, l’un des plus beaux projets de ma vie. 
Et pour le dire autrement, je me souviens du moment où je suis passé à l’acte comme d’un rare moment de sérénité dans ma vie. Au tout début de ce processus, j’avais écrit dans mon manifeste que ce serait un moment fort, dans le sens de prenant, éprou­vant, in­tense. Mais en vérité il n’y a rien eu de cela : je me sentais déjà dans cet ailleurs que j’ai mis toute ma patience à l’imaginer et à le construire dans ma tête, et avec un incroyable détachement. Par la suite, une fois qu’on m’a fait rater ma mort choisie, j’ai repensé à ce moment fatidique et ça m’a épaté que je n’aie eu au­cune nostalgie de la vie, que je n’aie pensé à aucune personne en particulier, ni à aucun événement de ma longue, très longue vie, pourtant si remplie. 
J’étais déjà dans un autre univers, et j’y étais bien. J’y étais si bien, et je le suis encore… 
Et comment !
(...)

Mustapha Kharmoudi

Illustration 1
Mustapha Kharmoudi © Mustapha Kharmoudi

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