« Sur le chemin d’Allah »
Je viens de boucler un texte pour le théâtre, où le narrateur est un des grands théoriciens du jihad. Un discours qui appelle à la haine et à la violence, contre l’Europe et l’Occident, et surtout contre les Musulmans qui leur sont alliés.
Ma motivation principale c’est ceci : chaque jour, l’islamisme radical conquiert du terrain en France et en Europe. Et plus largement encore dans le monde arabe et arabo-musulman. Ce qui ne peut mener que dans l’impasse. Et donc quid des libertés dans le monde arabe, et quid de relations équilibrées – et donc apaisées - entre l’Europe et le monde arabe.
Bref, il est plus qu’urgent de construire une réflexion, un discours et une action politique en mesure de maintenir la jeunesse loin de ces fous d’Allah.
Or pour l’heure, on les prend pour des fous, des illuminés, ou encore des excessifs en matière de religion, comme l’affirment les Musulmans dits modérés. Et l’on se contente de les criminaliser, déléguant tout à la police, comme si la police pouvait à elle seule nous en débarrasser.
Et nous nous en lavons les mains, comme si nous n’avions aucune responsabilité dans ces flambées fulgurantes qui sèment la terreur dans des zones de plus en plus vastes du monde arabo-musulman. Et qui, de temps en temps, s’en viennent secouer les villes d’Europe par des attentats aveugles.
Alors que c’est faux.
- D’abord parce que les interventions militaires des Occidentaux dans le monde arabo-musulman ne cessent de dresser contre eux des générations successives d’Arabes et de Musulmans. Et à leur tête leur jeunesse, une jeunesse pour laquelle le présent est gangrené par la guerre ou par la violence de dictateurs qui règnent sans partage sur la presque totalité des États arabo-musulmans. Une jeunesse pour laquelle l’avenir semble totalement bouché, sans espoir.
- Et ensuite parce que notre voix de révolte et de révolution contre la violence de l’impérialisme occidental s’est éteinte de sa belle mort, laissant le champ libre à ces fous d’Allah de porter seuls la colère face à la constante humiliation et dégradation des Arabes et des Musulmans.
- Et enfin parce que tout ce que professent les théoriciens du jihad provient du Coran et des paroles de Mahomet, des paroles reconnues authentiques, y compris par les Musulmans modérés.
Quoiqu’il en soit, ça arrange bougrement les Jihadistes qu’on les considère comme des stupides. Car l’absence de toute confrontation politique, et surtout idéologique, procure à leur propagande une sorte d’invisibilité. Et donc de virginité.
C’est de cela dont je voulais rendre compte, non pas par un article ou un livre de réflexion de plus, mais par une œuvre de fiction.
Au départ, j’avais pensé à un texte assez court, qui pourrait être lu dans un amphithéâtre de sociologie par un comédien habillé en jihadiste. Histoire de créer un choc, en opposant le fond de leurs propos à la forme qui pourrait paraître ridicule, ringarde…
Et alors, après avoir lu plusieurs textes des spécialistes français du Jihad, je me suis lancé dans un long processus de recherche de textes originaux en arabe. Internet en est rempli, et il est relativement facile d’aller sur des sites jihadistes, pourtant censés être hermétiques et protégés par eux. Du moins ceux où ils ne font qu’échanger – avec passion - sur les questions religieuses et politiques liées au jihad...
Et puis voilà : de texte en texte, de livre en livre, de vidéo en vidéo, de semaine en semaine, de mois en mois, je me suis retrouvé submergé par une incroyable littérature. Une littérature foisonnante sur le Net, où – paradoxalement - toute l’argumentation est tirée - texto - du Coran, oui du Coran, et des hadiths, les faits et paroles de Mahomet.
A plusieurs reprises, j’ai été pris d’hésitation. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Est-ce que ce sera publiable, est-ce que ma démarche sera comprise, est-ce que ça ne risque pas de jeter de l’huile sur le feu ? Ou pire, est-ce que ça ne risque pas d’être récupéré par des apprentis-jihadistes ?
Bref, de quoi longuement angoisser. Si bien que j’ai dû prendre le temps de consulter quelques militants, quelques experts en la matière, dont le politologue Gilles Keppel. Mais aussi quelques artistes du théâtre et du cinéma. Et tous m’ont vivement conseillé de poursuivre. D’autant qu’une piste m’a vraiment séduit : un montage vidéo spécial qui, sans altérer le discours jihadiste, donnerait néanmoins au lecteur et/ou spectateur une sorte de distance vis-à-vis du texte. Ne serait-ce que pour l’inciter à aller jusqu’au bout malgré la violence des propos. Afin d’y réfléchir en connaissance de cause.
Et c’est à force de subir toutes ces questions que j’allais, disons, déraper. Mes très nombreuses notes ont dû secrètement pousser mon démon à me travailler au corps pour m’obliger à plutôt écrire un texte pour le théâtre. Ce qui a fini par prendre la forme d’un monologue de jihadiste savant, éclairé si j’ose employer ce terme.
Il faut garder en tête que j’ai d’abord fait du simple copier-coller de leurs idées, et que j’ai seulement pris la liberté de les ordonner afin de les rendre accessibles et compréhensibles par un public non habitué. Et j’ai aussi – et surtout – pris la liberté de les transcrire dans une forme, disons, aussi artistique que possible.
Sauf pour ce qui concerne les sourates du Coran et les hadiths de Mahomet. Là j’ai choisi de reprendre les traductions officielles et reconnues.
D’où le texte final.
M.K.
Photo 6 jeunes jihadistes de Vesoul
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