Il est 5h Besançon- les voeux
Il est 5h et je sors faire ma marche quotidienne du matin, tout ravi de retrouver Besançon au calme et dans sa beauté naturelle, sans ces invasions barbares qui déferlent sur la ville, et qui pillent les magasins avec une furie redoublée surtout quand c’est jour de fêtes
Il est 5h et les rues désertes de Besançon s’abandonnent à mon regard, telles des amantes alanguies qui attendent le retour de leurs fiancés longtemps en absence
Il est 5h à moitié entamées, et je reviens de la Gare d’eau et je fais la même pause quotidienne sur le pont Canot, avec cette vue imprenable sur Besançon
Il est 5h trente et je pose un regard attardé sur la Cité universitaire Canot, et je me laisse bercer par toute une nuée de souvenirs du temps où on était étudiants t’en souviens-tu
Il est 5h qui commencent à prendre leur distance, et je marche lentement le long de la promenade quai Veil-Picard pour revenir au pont Battant
Il est 5h qui peu à peu s’éclipsent, et une fois sur le pont je fais ce que font certains bisontins, je pose ma main gauche sur le dos de Jouffroy d’Abbans, et je me concentre pour faire un vœu pour la nouvelle année
Il est 5h qui tentent de passer le relais à 6h, et rien ne me vient à l’esprit
Il est 5h qui se convertissent peu à peu en 6h déjà, et Besançon me dit : quoi tu ne trouves aucun nouveau vœu que je puisse exaucer pour toi
Il est 5h qui sont presque 6h, et je dis à Besançon : à vrai dire d’année en année je fais toujours le même vœu, et d’année en année jamais il ne se réalise, ni de près ni de loin
Il est 5h déjà déguisées en 6h, et Besançon me dit : ah non tu t’en sortiras pas comme ça, il te faut faire un vœu car toi-même tu as toujours affirmé qu’on doit respecter les rituels dès lors qu’on les as choisis soi-même
Il est 5h ou plutôt 6h qui s’installent, et je dis à Besançon : alors voilà à part ce vœu qui ne se réalise jamais, j’aimerais par dessus tout pouvoir faire tous les jours ma marche quotidienne jusqu’à la Gare d’eau, et ensuite traverser le pont Canot et longer la passerelle jusqu’au pont Battant
Il est 5h ou plutôt 6h bien confirmées, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, sauf les rares fois où tu décides de passer de l’autre côté par le parc Micaud en souvenir du jeune étranger que tu avais été à ton arrivée à Besançon il y a si longtemps déjà
Il est 5h ou plutôt 6h, et je dis à Besançon : tu as raison, alors voilà à part ce vœu qui ne se réalise jamais, j’aimerais par dessus tout pouvoir écrire tous les matins dans mon salon, sans jamais être dérangé
Il est 5h ou plutôt déjà 6h, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, et personne jamais ne te dérange sauf quand tu le désires, et tu sais toi-même oh combien parfois il arrive que tu le désires ardemment
Il est 5h ou plutôt 6h tassées, et je dis à Besançon : alors voilà, à part ce vœu qui ne se réalise jamais, j’aimerais par dessus tout pouvoir écrire toute l’après-midi, paisiblement chez moi, sans être dérangé par personne, mais par contre avec le bruit de fond des passants qui s’interpellent, et parfois qui éclatent de rire, et oh combien ça me fait plaisir
Il est 5h ou plutôt 6h cinq, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, puisque ton salon donne sur la rue piétonne la plus fréquentée de la ville, et qu’il te plaît d’entendre ça et là s’élever jusqu’à ton salon des voix joyeuses, notamment quand c’est en quelque langue étrangère qui nous vient de l’autre bout de la terre
Il est 5h ou plutôt 6h dix, et je dis à Besançon : alors voilà, à part ce vœu qui ne se réalise jamais, quand je fais des pauses l’après-midi chez moi et que je m’allonge sur le canapé, j’aimerais par dessus tout pouvoir entendre des musiciens de rue jouer juste en bas de chez moi
Il est 5h ou plutôt 6h et quart, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, et en toutes saisons et en tous genres de musique
Il est 5h ou plutôt 6h et quart, et je dis à Besançon : alors voilà, à part ce vœu qui ne se réalise jamais, j’aimerais par dessus tout pouvoir de temps en temps rompre ma solitude quand ma solitude me pèse un peu trop à cause de la peine de tel ou tel poème
Il est 5h ou plutôt 6h plus qu’un quart, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, et ce n’est jamais de solitude que tu te plains d’habitude mais plutôt d’être trop souvent envahi
Il est 5h ou plutôt 6h vingt, et je dis à Besançon : alors voilà à part ce vœu qui ne se réalise jamais, j’aimerais par dessus tout pouvoir sortir le soir après le travail, et aller boire un verre dans un bar, de préférence avec un mini-concert et en bonne compagnie
Il est 5h ou plutôt 6h qui commencent à s’écarter de 6h, et Besançon me dit : mais ça tu l’as déjà, et presque chaque soir il y a autour de chez toi des lieux agréables, où se produisent des artistes et où tu retrouves toujours tel ou telle amie
Il est 5h ou plutôt 6h trente, et je dis à Besançon : eh bien tu vois, c’est pour ça que j’hésite à faire un nouveau vœu
Il est 5h ou plutôt 6h trente, et Besançon me dit : tu sais que tu dois en faire un, et tu sais que telle une fée je me dois de te l’exaucer si j’en ai la faculté
Il est 5h ou plutôt 6h trente-trois, et je dis à Besançon : mais si mais si, au-delà de ma petite vie et de mon petit bien-être, j’aimerais par dessus tout qu’il n’y ait plus sur terre ni guerre ni misère, ni rien de ces horreurs que les hommes déversent sur eux-mêmes et sur la vie et sur la nature
Il est 5h ou plutôt 6h trente-cinq, et Besançon me dit : ah là je te coupe, inutile de perdre ton temps avec ce genre de vœu, car les hommes et les dieux et leurs violences, moi la « vieille ville espagnole » j’en ai vu des pires, et crois-moi, ni moi ni personne n’y pourra jamais rien
Il est 5h ou plutôt 6h quarante, et je dis à Besançon : eh bien voilà, c’est ça le vœu qui jamais ne se réalise, au point que j’ai fini par penser que rien ne vaut à l’homme, et que rien ne vaut aux dieux des hommes
Il est 5h ou plutôt 6h quarante-cinq, et Besançon me dit : tout ce que je peux te dire en conseil, c’est de continuer à faire ce que tu fais depuis longtemps, ne rien entendre, ne rien voir et garder tous tes esprits juste pour la poésie et l’amour
Il est 5h ou plutôt 6h quarante-huit, et je dis à Besançon : oui ça je sais faire, mais tu sais bien que l’écho de la barbarie finit toujours par me rattraper, et alors combien ça me sape le moral, à me donner envie, chaque jour qui vient et chaque jour qui va, de n’être plus de cette espèce, ni même de cette vie
MK, Besançon le 4 janvier 2023
Photo by MK, Jouffroy d'Abbans, pont Battant (Besançon)
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