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Billet de blog 6 janvier 2025

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C'était comment alors ?

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Elle dit c’était comment alors

Elle dit c’était comment alors 
Elle dit c’était comment avec elle pendant ces fameuses vacances dont tu m’as à peine parlé hier soir tard. Je n’ai su quoi dire, les mots m’ont manqué. Elle dit tu n’as qu’à m’écrire un petit texte puisque tu sais mieux dire les choses par écrit. Je dis ah ça oui je serai plus à l’aise, mais il faut me laisser le temps. Elle dit Ok je sors boire un café et faire quelques courses pour le voyage, et après j’irai récupérer S. qui viendra manger avec nous, tu te rappelles, monsieur tête en l’air, que c’est aujourd’hui qu’elle arrive et que demain je pars en vacances avec elle, justement en Italie, et tant pis pour toi puisque tu ne veux pas profiter de ma généreuse invitation. Je dis j’ai déjà fait à manger pour nous trois, et même pour quatre ou cinq si affinités. Elle dit ah non je veux pas que tu invites tes voisines, ni que tes voisines elles s’invitent d’elles-mêmes, avec ou sans leurs délicieux gâteaux, et encore moins avec du très bon vin, comme la fois où l’autre, là, elle s’était incrustée alors qu’elle voyait bien que j’avais envie d’être seule avec toi. Je ne dis rien. Elle dit est-ce que t’as besoin que j’achète quelque chose. Je dis oui oui, une bouteille de blanc du Jura, parce que celle d’hier tu vois bien quoi. Elle dit ah arrête de me prendre pour une alcoolo, c’est juste que ton vin était trop bon, et je te dis pas comment c’était ma tête à cause de tout ça tout ça comme tu dis. Je souris d’un sourire complice.
Elle sort, et aussitôt le silence s’en vient prendre possession de tout mon être. Et aussitôt tous les habitants de mon salon réapparaissent, chacun à sa place, comme par magie, alors que tout le temps qu’Elsa est là, je ne les vois pas, on dirait qu’ils se cachent à mon regard, comme par peur que je ne les compare à la beauté sauvage de la belle Elsa. Y compris ces oeuvres d'art sur les murs avec des filles si belles si belles et si peu vêtues...
Je mets le tendre Monsieur Chopin en service minimum, je me prépare un thermos de café et je rejoins mon coin-bureau d’où j’ai une large vue sur le salon, mais aussi sur la lune quand il plaît à la lune d’honorer Besançon par soir de lune.
Mais toute la matinée, les mots me manqueront. Peut-être pour cause de trop de précipitation. Peut-être que les mots me soupçonnent de ne pas être en état de les ordonner au mieux pour ranimer un souvenir si magique. Et du coup ils n’auraient peut-être pas envie de participer à un texte qui ne serait pas du tout ce qu’il faudrait qu’il soit. Ce qu’il aurait été si je devais l’écrire tard le soir, par exemple, mais un soir tard où je serais seul avec eux, vu que les mots n’aiment me venir que s’ils peuvent veiller en tête-à-tête avec moi. Les mots savent que seule ma solitude connaît les chemins perdus pour m’emmener là où je veux aller au moment où j’ai besoin d’y aller. Autrement je me perdrais. Et je ne le sais que trop, bien plus que dans n’importe lequel de mes nombreux autres états, autrement dit, bien plus que tous mes autres moi-même.
Et en dehors de ma solitude, les mots se méfient de moi. Ne serait-ce que par peur que je ne sois pas sincère, à cause de la présence d’intrus qui n’ont pas leur place dans mes rêveries. Ou peut-être tout simplement parce qu’ils craignent comme la peste mon état joyeux, et qu'alors je risquerais fort de les mélanger à d'autres mots avec lesquels ils ne s’entendent pas, ou guère. Saurais-je à l’instant faire en sorte que, par exemple, les mots papillons aillent avec les mots papillons, et avec les mots fleurs et les mots ruisseaux. Ou tout autre mot qui évoquerait cette balade en amoureux à travers la Toscane, quand en ce temps-là la Toscane savait s’habiller du plus beau des printemps, comme tu n’en as jamais vu d’aussi beau de toute ta vie. Avec, à peine au lever du jour, les rayons du soleil qui faisaient briller la rosée sur les feuilles de vignes et d’oliviers, tout le long de cette petite route qui serpente la campagne toscane, entre Florence et Sienne.
Oui, là, les mots se tiennent en retrait, sans doute parce que mon état de bien-être ne leur inspire rien de beau. Sinon ça risquerait de dégénérer dans un piteux « tout va bien madame la marquise ».
En l’état dans lequel je me trouve, les mots doivent sûrement craindre que je ne les mélange avec d’autres mots qui seraient vulgaires à leurs yeux, quand bien même ils diraient tout mon bien-être. Tels des mots qui pourraient dire par exemple : avec Elsa hier dans ce bar veille-tard où des musiciens déjantés t’ont fait prendre cinquante ans d’âge en moins. Ou des mots qui te raconteraient cette soirée frivole de la veille qui n’en finissait pas de te jeter dans un état d’insouciance et d’extase...
Bref, je tourne en rond sans trouver la moindre issue, et je tourne encore plus en rond sachant que je devrais rendre compte tout à l’heure de ma promesse. 
Et voici les mots qui se demandent si ça ne serait pas de mauvais goût de lire tout à l’heure, à Elsa et à sa copine, un texte qui relaterait cette romance féerique, tant vous vous aimiez au-delà de tout, dans une fusion totale que tu ne veux plus offrir, ni à Elsa ni à une autre. Pour cause d’exil de la passion amoureuse, loin trop loin de ce pourtant si succulent « il faut bien que le corps exulte », l’unique devise d’Elsa en matière d’amour, qu’elle décline le plus souvent avec des mots tout crus...
Si bien que rien ne viendra.
Et enfin de matinée, Elsa revient avec S. et deux bouteilles de vin : du rouge et du blanc, vu que S. me dira qu’elle n’aime pas le blanc, et encore moins le blanc du Jura, et c’est tant pis pour elle et surtout tant mieux pour moi, car ainsi je pourrai déguster, lentement, très lentement deux verres sans que la bouteille ne se soit déjà vidée avant même la fin de mon premier verre tu vois bien quoi.
Et alors Elsa, qui sait comme tout un chacun et chacune que je n’aime pas lire moi-même mes propres textes, me lance d’une voix gourmande, allez donne, c’est moi qui vous fais la lecture de ce fameux voyage amoureux dont tu nous parles tout le temps, quand d’une féerie n’est-ce pas, et elle éclate de rire.
Et du coup je leur montre juste cette vidéo, en disant je n’ai pas trouvé les mots, mais bon c’est à peu près comme ça dans mes souvenirs…
MK, Besançon le 6 janvier 2025
Pour la vidéo, c'est là:
https://www.facebook.com/718629778/videos/10154246748694779/

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