Les gens entrent un jour en nous, souvent par hasard, par accident, et ils n’en ressortent plus jamais
Il en arrive ainsi en flux continu tout le long de la longue route de notre vie
Si bien qu’on finit par traîner avec nous toute une foule grouillante qu’on ne peut guère contrôler
Ils se font tantôt râleurs tantôt joyeux, tantôt tonitruants tantôt taiseux
Heureusement, à la longue presque tous finissent par se faire oublier au fin fond d’un des nombreux greniers reculés dans quelque recoin de notre tête
Mais malgré tout, il n’est pas rare que l’un d’eux tente de se rappeler à notre bon souvenir
On le devine qui se trappe là, juste derrière un rien de voile qui voile notre mémoire, sans qu’on puisse l’identifier, se rappeler son visage, son nom, ni même ce qu’il était venu faire un jour en nous, avant de s’être retiré dans notre oubli
D’autres s’incrustent en plein milieu de notre salon mental et s’y installent comme de droit, quand bien même on préférerait se retrouver soi-même sans eux
Avec toute cette foule grouillante en nous, on n’est jamais tranquille
Du moins tant qu’on reste prisonnier soi-même de soi-même
Parfois on n’en peut plus d’être ainsi envahi, colonisé, alors on se dit que c’est mieux de s’en aller s’aérer au loin, dans l’espoir de trouver quelque répit
Mais même au loin, même à l’abri, il suffit d’un regard, d’un sourire et tout nous revient en boomerang
Souvenir de fête ou souvenir de catastrophe, c’est selon le bout de vie que nous avions partagée avec eux, et surtout selon la manière dont nos chemins s’étaient séparés
Quoi qu’il en soit, un rien de notre quotidien et les revoilà qui resurgissent du fin fond de cette malle où s’entassent en vrac tous les restes de notre passé
Et vas-y qu’ils s’étalent partout en nous, dans notre salon mental, jusque dans les espaces les plus intimes de notre intimité
Pourtant on voudrait bien se débarrasser de la plupart de ceux-là qui nous malmènent inutilement, afin de laisser place à ceux qu’on aimerait plutôt avoir auprès de nous, tous les jours, toutes les nuits, surtout les nuits de grande solitude
Tant et tant qu’on s’ingénie à tout faire pour les retenir, ou pour les faire revenir dans notre mémoire immédiate
Malheureusement, avec le temps eux aussi finissent par s’estomper sans crier gare, et s’en vont s’enfermer à double-tour dans les caves inaccessibles de notre tête
Et quand incidemment ils nous reviennent en mémoire, ça nous peine au plus profond de nous, ça nous meurtrit de ne plus savoir comment réparer les cassures du temps qui les avaient boutés hors de notre vie
Et alors, à la place où ils se tenaient en nous, on se rend compte qu’il nous y est resté une blessure
Une béance à jamais ouverte, pour nous être à jamais douloureuse
Mustapha Kharmoudi
Billet de blog 7 juin 2023
Ceux qui nous peuplent
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