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Billet de blog 8 décembre 2023

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Uns souillure nommée Elsa

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Une souillure nommée Elsa 

Moi je n’ai rien dit de tel, c’est elle-même qui n’a cessé de répéter toute la soirée d’hier qu’elle n’était plus qu’une souillure. Une souillure, une merde, un déchet, etc. Je me suis tu, autant que j’ai pu, mais mon regard a certainement dû lui paraître confirmer tous ses dires.
Je vous raconte :
J’ai déjà publié de nombreuses chroniques sur des Elsa, mais c’est celle-ci la vraie, la première.
Toutefois, rassurez-vous, elle non plus elle ne s’appelle pas Elsa, c’est juste un nom d’emprunt qu’elle avait utilisé un temps, un bref temps, pour signer quelques poèmes et textes aussi beaux que tristes à mourir. C’est d’ailleurs comme ça qu’on s’était rencontrés : je l’avais aidée à en publier quelques uns je ne sais plus où.
Mais par la suite j’allais ressentir une profonde révulsion pour elle. Elle sombrait dans l’alcoolisme et rien ne semblait pouvoir l’en sortir. Et puis dans d’autres auto-dégradations qui ne valent plus la peine que je les déterre. Disons que je l’avais écartée de ma vie, et que plus jamais je ne me suis arrêté sur son chemin.
C’était une étudiante étrangère, comme je l’avais été moi aussi, mais presque dix ans ma cadette, et elle était belle, ravissante et si brillante.
Et donc voilà : hier soir, après avoir aidé une amie à emménager (au prix d’une nuit de douleurs musculaires), j’ai fait une longue et belle marche sur les quais. Et tout le temps que je me baladais, je n’avais qu’une seule et unique pensée qui habitait totalement depuis plusieurs jour, toute ma tête et toute mon âme, en lien avec cet anniversaire d’il y a… euh… combien déjà… le 6 décembre 1977. Où la police devait me reconduire au Maroc pour être jeté dans les centres de torture de Hassan-2.
Bref, là encore j’ai regardé Besançon comme toujours je regarde Besançon, c’est-à-dire avec le regard de la dernière fois, de l’ultime fois. Et j’ai grimpé mes magiques escaliers (escaliers classés, qui dit mieux ), je les ai contemplés eux aussi comme pour une dernière fois.
Mais voilà : juste devant ma porte, il y avait Elsa. Toute recroquevillée sur elle dans les escaliers, grelottant de froid. Elle m’a dit avoir été chassée par je ne sais quel nouveau compagnon, mais je ne lui ai pas répondu, j’ai vivement tourné le dos pour redescendre. Mais derrière moi, plus haut, sa voix ne cessait de me supplier, de me supplier.
Et soudain, j’ai repensé à ce jour-là : le 6 décembre 1977, le même jour qu’aujourd’hui. Et j’ai repensé que des gens m’avaient ouvert leur porte ce jour-là, sans rien savoir sur moi à part que j’étais recherché par la police pour des raisons politiques.
Et alors la mort dans l’âme, je suis remonté, et je l’ai fait entrer non sans sa ferme promesse de repartir dans une heure. Et je lui ai chauffé la bouillotte, et je lui ai fait un thé chaud, et je lui ai mis une couverture à ses pieds gelés, et je l’ai fait asseoir sur une chaise contre le grand radiateur du salon (elle est à toi, cette chanson…).
Et je suis resté là, à l’entendre pleurer et ressasser la même chose : je ne suis plus qu’une souillure, une merde, un déchet, je ne mérite pas d’être en vie, et des tas d’autres lamentations du genre : quand j’étais jeune très belle et j’aurais dû rester dans mon pays mais je rêvais de venir en France, etc.
A peine je m’étais éclipsé quelques minutes dans la cuisine pour lui préparer quelque chose à grignoter que déjà elle dormait à poings fermés sur le canapé.
Et ce matin, je suis entré dans le salon sans faire de bruit pour prendre mon ordinateur, et ça ne l’a pas réveillée.
Plus tard, je suis sorti lui acheter des croissants, et je lui ai préparé un super petit-déjeuner comme j’ai toujours aimé le faire pour avoir été toute ma vie un vrai lève-tôt. Et je l’ai aidée à prendre une douche, et on est sortis boire un café dans le bistrot qu’on adorait, elle et moi, aux temps des études, des bringues et des manifs. Et elle m’a rappelé les soirées de l’époque, et petit à petit, elle retrouvait – ou presque – l’air joyeux que je lui avais connu en ce temps-là
Et ça m’a fait du bien, comme dit le poète. 
Et tant pis si elle m'a gâché, pour un temps, ce que je voulais faire de ma soirée, et du plus profond de moi-même.
Mustapha Kharmoudi le 7 décembre 1977… euh… 2023

Illustration 1
Poème de MK © Mustapha Kharmoudi

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