Je me souviens d'Aurore, ma petite voisine du temps où j’habitais rue des Granges, à Besançon,
je me souviens que j’avais un chat, et je me souviens qu’il traînait souvent à sa fenêtre,
je me souviens qu’elle veillait sur lui les fois où je m'absentais pour quelques jours,
je me souviens que je laissais une fenêtre de chez moi entr’ouverte pour qu’il sorte et rentre à sa guise, et Aurore lui mettait de l’eau et des croquettes à sa fenêtre, mais sans jamais le laisser entrer chez elle.
je me souviens que je m’en étais un peu offusqué et je me souviens qu’elle n’avait rien dit,
je me souviens de ce jour-là où une dame était venue frapper à ma porte,
je me souviens qu’elle m’avait dit : - Aurore est morte !
je me souviens que j’avais dit : - C’est qui Aurore ?
je me souviens qu’elle avait dit : - Ma fille Aurore !
je me souviens que j’avais dit : - Mais c’est qui votre fille ?
je me souviens qu’elle m’avait montré la fenêtre de ma petite voisine et je me souviens qu'elle avait dit : - Votre voisine, qui habite là !
je me souviens que mon cœur avait saigné parce que j’étais très attaché à elle, et elle à moi, sans jamais qu’on ne se fut dit quoi que ce soit d’autre à part des propos de bon voisinage et surtout ce qui concernait mon chat,
je me souviens que sa maman m’avait dit qu’elle était morte d'une sorte de maladie auto-immune, et je me souviens qu'alors seulement j'avais compris cette ambiguïté qu'elle avait d'aimer s'occuper de mon chat tout en évitant de s'en approcher,
je me souviens avoir écrit ce quatrain en dix minutes, et je me souviens m’être hâté de le mettre devant la porte d’Aurore, comme par peur qu'Aurore ne s’en aille pour toujours sans l’avoir lu,
je me souviens que j’avais trouvé un mot dans ma boîte aux lettres pour me dire que la famille aimerait que j’assiste à l’enterrement parce qu’Aurore leur parlait de moi comme d’un proche,
je me souviens qu’à l’enterrement d’Aurore il n’y avait que son père, sa mère, ses deux frères et moi,
je me souviens qu’après avoir inhumé le corps d'Aurore, son père m’avait tendu mon feuillet et m’avait demandé de lire mon poème à haute voix pour qu'Aurore l'entende,
je me souviens que je n’y étais pas arrivé, et je me souviens que c’était la maman d'Aurore qui l’avait lu à ma place,
je me souviens que les parents d’Aurore m’avait demandé l’autorisation de graver ce poème sur la pierre tombale du caveau familial en souvenir d’Aurore,
je me souviens que j’y étais retourné quelques temps plus tard pour prendre cette photo, et Je me souviens que j’avais dit à Aurore qu’elle nous manquait rudement, à mon chat et à moi,
je me souviens d'Aurore, ma petite voisine de ce temps-là...
Mustapha Kharmoudi

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