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Billet de blog 11 juin 2023

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Choisir ma mort

Et maintenant que j'ai guéri de mes blessures à l'âme, je me sens à nouveau prêt à partir. Prêt à offrir à ma belle vie une mort digne de ce qu’elle mérite. Loin des hôpitaux, une mort loin de ces lieux d’accueil où l’on s’acharne sur des vieilles et des vieux, à coups de médicaments, et surtout à coups d’infantilisation et de déshumanisation.

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Choisir ma mort

Et voilà : il m’a fallu quelques mois pour soigner mes blessures, et retrouver ma sérénité. En relatant par écrit tous les détails de cette insupportable expérience. Et moi, ma thérapie ça a toujours été l’écriture, rien que l’écriture. Aujourd’hui, le texte est bouclé, il est chez l’éditeur. Et moi, je me sens moi aussi « bouclé ».  
Je vous explique :
J’ai mis longtemps à choisir ma mort. A choisir de mourir de belle mort, à l’image de la belle vie que j’ai eue. Avec la conviction que l’une ne peut aller sans l’autre. Et j’ai mis deux ans à tout ordonner, afin que rien ne vienne entacher cette douce transition de l’état d’avant la mort à l’état d’après la mort. Dans ma vision des choses, une fois mort, mes souvenirs se détacheront de mon corps pour s’envoler en nuée vers l’infinité de l’univers. D’où l’intérêt d’avoir pris tout mon temps pour écarter de ma tête la moindre trace du moindre mauvais souvenir qui risquerait d’effaroucher les autres, et donc de les disperser....  
Et dès que j’ai bouclé ce long cheminement mental, je suis passé à l’acte. Exactement comme je l’avais préparé.
Et si je suis encore là, hélas, ce n’est nullement parce que je me serais raté, loin de là car je partais avec certitude vers la mort, vers ma mort. Non, c’est parce que j’ai surestimé un point crucial, autant que j’ai sous-estimé un autre point non moins crucial. 
- Le premier point que j’ai trop largement surestimé est le suivant : j’appréhendais qu’au moment ultime, mon corps, le vivant en moi, disons l’élan vital en moi ne me fasse paniquer au point de m’empêcher de passer à l’acte. Mais au final, au moment crucial, j’ai été tant soulagé de voir mon corps en accord parfait avec moi : pas la moindre hésitation, pas la moindre résistance.
- Le second point que j’ai, par contre, sous-estimé est le suivant : faire trop confiance à deux ou trois personnes proches, qui m’ont pourtant assuré de leur totale solidarité, de leur constant soutien, et surtout du respect absolu de mon choix. Le souci c’est qu’aucune d’elles n’avaient eu à faire ce nécessaire et laborieux travail sur soi pour apprivoiser déjà sa propre mort.
Ce qui causera mon drame. Imaginez : vous vous préparez pendant deux ans, et au soir venu, vous dites un adieu apaisé à cette vie qui vous a tant comblé. Et vous faites exactement ce qu’il faut pour vous en aller assurément, doucement et surtout définitivement...
Mais vous vous réveillez dans un hôpital psychiatrique. Comme si vous étiez un fou à lier parmi des fous à lier. Juste parce que ces amis-là ont, de panique, décidé d’interrompre le processus, en reniant leur propre parole et surtout en bafouant ma dignité et ma liberté..
Je doute que quelqu’un puisse imaginer l’humiliation insupportable dans laquelle je me suis retrouvé jeté comme on jette un détritus aux ordures. Je me sentais dégradé, honteux, incapable de faire face à ce qui était devenu ma nouvelle vie. Une vie de négation, une vie sans le moindre goût d’être encore en vie. Bien au contraire.  
En vérité, après avoir fini par reprendre quelque peu mes esprits, et au-delà de la honte qui me submergeait d’avoir raté l’un des plus beaux projets de ma vie, j’allais être longtemps pris dans les mailles d’une panique indescriptible. Avec cette question obsessionnelle à sans cesse me couper le souffle : serais-je un jour capable de recommencer quand j’aurais guéri de ces rudes blessures à l’âme ? D’autant qu’en l’état de grand délabrement dans lequel je pataugeais lamentablement, la réponse semblait pencher vers le non. Un non qui avait tout d’un air de définitif.

J’ai mis des jours, des nuits, des semaines et des mois interminables à souffrir le martyre. J’ai mis des jours, des nuits, des semaines et des mois interminables à essayer de colmater les brèches de ce brasier qui a mis le feu à toute mon âme, à toute ma vie. J’ai mis des jours, des nuits, des semaines et des mois interminables à reconstruire mon unité, ma dignité. Et j’ai surtout mis des jours, des nuits, des semaines et des mois interminables à évacuer toute mauvaise pensée de mes esprits, à chasser toute colère, toute rage de ma tête. 
Et maintenant qu’aucun mauvais souvenir n’envenime plus mes esprits, je me sens à nouveau prêt à partir. Oui, je suis à nouveau disponible, de corps et d’esprit, pour offrir à ma vie, à ma belle vie, une mort digne de ce qu’elle mérite. Une mort loin des hôpitaux, une mort loin de ces lieux d’accueil où l’on s’acharne sur des vieilles et des vieux, à coups de médicaments, et surtout à coups d’infantilisation et de déshumanisation.... 
Et bien-sûr, cette fois-ci, quand je devrai sonner l’heure de l’envol, je n’aurai ni à sous-estimer qui que ce soit, ni à surestimer quoi que ce soit...
Avec juste ce beau rêve : muer en une nuée de beaux souvenirs qui volent de plus en plus haut et dans la plus belle des harmonies. Telles ces nuées d’oiseaux qui dansent par centaines dans le ciel, comme d’une chorégraphie écrite d’avance pour eux… 

Mustapha Kharmoudi

Illustration 1
nuée de tourtereaux

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