Et moi qui me suis donné tant de mal !

Et moi qui me suis donné tant de mal ! 
Je vous raconte:
On est dimanche mais je ne le sais pas. J’ai bossé comme chaque jour et je suis allé marcher à la même heure, comme chaque jour. Sauf que là, j’ai croisé un vieil ami sur le quai, et on a discuté pendant une petite demi-heure, histoire de nous rappeler les temps heureux de quand on était sûr que le monde irait bientôt mieux…
Et en le quittant, je mets le chauffeur automatique de mon corps, et je reste plongé dans l’ambiance de ce temps-là.
Et soudain, j’entends une voix qui m’interpelle vivement : 
– Mais vous étiez où, je vous ai attendu, moi !
C’est la fleuriste du dimanche. 
Je ne lui ai jamais donné de rendez-vous, et je n'achète pas des fleurs systématiquement tous les dimanches.. Mais je ne réponds pas. Je me contente de sourire de contentement que tant de gens prennent soin de moi, y compris en me grondant quelque peu. 
Alors elle ouvre la grosse malle et elle en sort ce bouquet. Je fais la moue parce que je n’aime pas les fleurs trop voyantes. Elle relève ma contrariété et elle lance :
– Ben quoi, vous aimez pas ?
J’hésite à lui répondre, car c’est très compliqué: Ça se voit qu’elle a dû se dire que ce beau bouquet ce serait pour moi. Voilà là, une fleuriste attentionnée qui me vend les bouquets avec toujours une petite réduction. Comme l’indien vers chez moi, et comme tant d’autres à qui je dois sûrement donner l’impression de vivre chichement (peut-être parce que je porte toujours les mêmes vêtements vieux et usés). 
Alors elle se met à me le préparer, et elle prend la pause avant de me défier :
– Regardez comme il est beau, votre amie elle va adorer…
Je me moque en me retournant dans tous les sens :
– Quelle amie ?
Elle connaît ma façon de tourner en dérision des choses sérieuses, et elle connaît cette expression sur mon visage que certains trouvent plutôt cynique.
Et du coup elle râle franchement : 
– Ben alors, si c’est pas pour elle, tout ce mal que je me suis donné, hein ?
J’éclate de rire. 
J’éclate de rire en pensant à cette vieille pub de mes vingt ans : «Mais bonneu dâme, à quoi ça sèèèrt que Ducros il se décarcasseu ? ».
Et ça se voit que je l’ai vexée, et du coup, au moment de payer, elle m’envoie balader :
– Ah non, allez vous-en ! 
MK

Photo By Mk : fleuriste du pont Battant (Besançon