Journal de bord - 4
Et par la suite, tout Besançon s'était ligué pour me cacher. Et surtout tout Besançon s'était mobilisé pour me défendre : il y avait des manifestations partout, jusqu'à 4000 personnes qui scandaient mon nom dans les rues de Besançon.
Ô Besançon !
Et donc mourir un tel jour me paraissait être une belle manière d'honorer au mieux le jeune rebelle que j'avais été en ce temps-là. Ma mort choisie est prématurée, ne serait-elle pas la meilleure preuve que je lui donnerais en déclinant aussi définitivement cette vie de confort et de bien-être dans laquelle je coule des jours des plus heureux de ma vie. De surcroît, dans ma ville de cœur, Besançon.
C'est que ce jeune rebelle-là savait, tout comme j'ai toujours su et que je sais toujours, que ce bien-être qui nous fait tant de bien, n’est, hélas, qu'au prix de vies en quasi esclavage de milliards d'êtres humains, et en particulier de centaines de millions d'enfants asservis de par le monde, juste pour fabriquer toutes sortes de produits, futiles ou utiles, qui nous font croire que nous sommes heureux.
En vérité, si je n'avais pas été moi-même très pauvre au début de ma vie, j'aurais probablement été moins habité à l'obsession par cette phrase tyrannique du Victor Hugo de mon enfance : « C'est de l'enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches». Et c’est s’aveugler volontairement qu’exclure du mot riche les gens des couches moyennes, tels que moi-même et la grande majorité de mon entourage.
En tout cas pour ce qui me concerne, un tel constat, constamment présent dans ma tête, m'a souvent gâché la vie. Tel un huissier de justice, la vraie justice, qui s’en venait à chaque fois saisir ma joie de vivre, au moindre plaisir que la vie m'offrait, et oh combien la vie m'en a offerts, jour après jour et en flots continus.
Je n'en réchappais que lorsque j'étais en état d'écriture. En état d’être plongé, nuit et jour, mois après mois, saison après saison, année après année, dans des histoires qui relatent les peines des humains, celles dont Anatole France disait : « ils naquirent, ils souffrirent et ils moururent ». Et en particulier les peines que les miens font volontairement aux miens.
C’est ainsi seulement que j’ai toujours eu le sentiment de faire ma part de colibri, d’un peu rembourser ma dette en quelque sorte.
Mais depuis que je n'ai plus rien à écrire, depuis que la source de mes histoires s’est tarie, je me retrouve sans défense. A vif.
- D'un côté c'est la condition humaine, celle des pauvres et des miséreux, qui me rappelle vivement que je ne suis plus qu'un féodal oisif. J'ai d'ailleurs longuement dénoncé ce petit bien-être de petite ville de province dans un texte de théâtre : «Le rude labeur d'être soi», en cours de publications aux éditions Pierre-Philippe.
- D’un autre côté, ce sont tous ces incessants bruits de bottes, en écho à cette violence permanente que les hommes déversent sur les hommes, notamment sur les plus faibles et les plus pauvres, au point de m’avoir fait perdre le goût d’être moi-même de cette espèce. Je m'en suis d'ailleurs vengé largement en écrivant un texte transgressif : «Rien ne vaut à l'homme », en téléchargement gratuit sur le portail de la Fnac.
A suivre : Journal de bord - 5
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