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Billet de blog 18 août 2020

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Les chroniques de Besançon : Les amants de Besançon

Je leur ai dit bonjour d'une voix assurée mais le cœur battant, et alors ça les as surpris. Ils m'ont regardé l'un et l'autre, puis ils se sont regardé l'un l'autre, comme pour se demander qui de l'un ou de l'autre me connaissait. Et à nouveau ils ont eu un regard presque inquiet vers moi. Moi qui souriais, presque de jubilation. Un peu comme si je leur disais : Je vous ai eus, hein ?

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Les chroniques de Besançon

Les amants de Besançon

Quand on les voit dans la rue, bras dessus bras dessous, leurs corps dandinant lentement comme pour se soutenir l'un l'autre par quelque besoin de parade amoureuse, on ne peut échapper au sentiment diffus que ces deux-là viennent d'un autre monde. Peut-être même d'un conte de fée.
Parfois je les aperçois au loin, et aussitôt mon regard se fige sur eux. Et alors je ne vois plus la belle rue, je ne vois ni ces fenêtres ni ces façades qui pourtant toujours me ravissent.
Non, je ne vois plus qu'eux deux. Eux deux marchant amoureusement dans un sentier des bois, seuls, comme qui dirait seuls au monde.
Souvent le matin, ils s'installent à l'autre bout de la brasserie. A l'écart de tous, car tout le monde préfère la belle terrasse. A part eux et moi.
En général, je ne les vois pas arriver. Mais dès que je me rends compte qu'ils sont là, je m'arrête de travailler et je les observe, longuement. Ils ne regardent nulle part ailleurs que dans les yeux l'un de l'autre. Ils parlent si peu, et leurs gestes sont si lents qu'on les dirait immobiles.
Évidemment, il a bien fallu qu'un jour ou l'autre j'en vienne à troubler leur quiétude. Et ce jour-là, j'avais besoin d'un témoin, et il n'y avait que le jeune patron de la brasserie. Je lui ai dit que j'allais commettre un sacrilège en montrant les amants du doigt. Il s'est juste contenté de me sourire, l'air de dire : Encore une transgression?
Je me suis avancé en toute lenteur pour traverser les dix mètres qui me séparaient d'eux. Histoire de leur permettre d'appréhender mon arrivée.
Mais même quand j'étais debout juste devant leur table, ils n'ont pas réagi tout de suite. Peut-être ont-ils pensé que j'étais un serveur.
Je leur ai dit bonjour d'une voix assurée mais le cœur battant, et alors ça les as surpris. Ils m'ont regardé l'un et l'autre, puis ils se sont regardé l'un l'autre, comme pour se demander qui de l'un ou de l'autre me connaissait.
Et à nouveau ils ont eu un regard presque inquiet vers moi.
Moi qui souriais, presque de jubilation. Un peu comme si je leur disais : Je vous ai eus, hein ?

Illustration 1


Le face à face n'a pas duré longtemps, car je me suis hâté de leur dire ce que je voulais leur dire depuis des jours. Que je les trouvais beaux et formidables ensemble, que tout en eux indique qu'ils sont parfaitement agencés l'un à l'autre, corps et âme. Ils ont mis du temps à réagir, comme s'il fallait du temps pour que ma voix leur parvienne. Et alors ils m'ont souri, et ça ne se voyait que dans leurs yeux que leurs visages rougissaient, car la peau de leur visage a depuis longtemps passé l'âge où ça peut se voir quand on rougit.
En vérité ce n'est pas à moi qu'ils ont souri, ils se sont souri à eux-mêmes, sans rien dire. Mais des sourires retenus, gênés presque. On les aurait dits deux mômes qu'on a surpris en train de s'embrasser en secret.
Et comme je m'incrustais, la dame s'est lentement penchée vers son amant pour poser sa main sur la sienne, puis a jeté un bref regard vers moi, juste le temps de dire : C'est Dieu qui l'a voulu !
Je suis retourné à ma place, ravi que, de tous les dieux guerriers de la terre et du ciel, il s'en soit trouvé un à bien faire les choses... juste pour ces deux-là...
Refrain:
Il y a longtemps que je t'aime...
MK, Besançon, août 2020

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