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Billet de blog 24 février 2023

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Le pays de mes souvenirs

Mon pays, mon vrai pays, c’est le pays où vivent mes souvenirs, mais seulement les bons souvenirs où partout il n’y a que des happy-end. Tout ce qui avait pu gâcher ça et là quelques moments de ma vie, j’avais tôt appris à ma tête à le jeter pour toujours dans la poubelle de ma mémoire.

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Le pays de mes souvenirs
Mon pays, mon vrai pays, c’est le pays où vivent mes souvenirs, mais seulement les bons souvenirs où partout il n’y a que des happy-end. Tout ce qui avait pu gâcher ça et là quelques moments de ma vie, j’avais tôt appris à ma tête de le jeter sans délai dans la poubelle de ma mémoire. Jusqu’à totalement le nier, ou le renier au cas où il tenterait par quelque malheureuse coïncidence de resurgir. Si bien que quand je m’y envole pour une belle balade, et c’est ma principale activité, et que j’y croise tel ou tel souvenir, récent ou ancien, je ne reçois que du bonheur.
Parfois, mais c’est rare, je surprends ma tête en train de vouloir fouiner pour se souvenir de ce qui s’était passé au-delà de ce qui me revient d’heureux ou de joyeux, mais aussitôt elle s’arrête, de peur de me gâcher ma journée. Ou pire. Disons que ma tête a appris à la longue qu’il vaut mieux m’éviter de mauvaises surprises, vu qu’elle sait ô combien les chutes peuvent m’être rudes, trop rudes. Du moins si je n’y suis pas préparé...
Et c’est seulement quand je suis en situation d’écriture que je ne les crains pas. Et pour cause : je sais mieux les maîtriser dans le pays des rêves, où naissent mes fictions, contrairement à leur imprévisibilité dans la vie réelle. Et si je m’adonne à l’art de conter des histoires, en plongeant volontairement dans la noirceur de la peine humaine, c’est d’abord dans un but, disons, préventif : essayer de mieux l’appréhender en en saisissant toute la nature, afin de pouvoir la domestiquer et la rendre moins sauvage, et donc moins violente, si par malheur tel drame vint un jour à croiser à nouveau mon chemin. Et qui sait, peut-être apprendrais-je aussi à l’éviter en le voyant arriver de loin, tel un oiseau de malheur. Ou à défaut à l’affronter de vie réelle, à le combattre parce que je connaîtrais mieux ses points faibles. Et pourquoi pas apprendre ainsi aux autres d’en faire autant.
Et c’est seulement dans cette bonne disposition d’esprit que je peux convoquer la pire peine, que ce soit à travers mes propres malheurs, ou à travers les malheurs des autres. Lesquels malheurs, si je m’y prends correctement, peu à peu deviennent miens propres. Mais entendons-nous, c’est toujours de manière organisée, comme dans un laboratoire, et aucunement à la manière dont la vie distribue ses malheurs à l’aveugle. Il faut garder en tête que dans l’écrit, tout se déroule selon une bonne logique, d’épisode contrôlé en épisode contrôlé, si bien que même le pire drame, je sais à peu de frais le contenir en le présentant dans toutes ses perspectives : avant même son arrivée, ensuite pendant qu’il s’adonne à ses ravages en me martyrisant du pire martyre, mais non sans cette assurance que toujours et bientôt il sera passé...
Mais quand je n’écris pas, la moindre peine m’est insupportable. il me faut sans cesse fuir le chaos de la réalité. Je ne sais pas comment font les gens pour ne pas sombrer en déprime permanente avec un tel chaos.
En tout cas, mon léger autisme et mon art de conter des histoires ont toujours dominé ma vie réelle. Au point de constamment me dédoubler, et ainsi vivre le plus souvent dans la peau de l’autre : un personnage féerique qui vit dans un pays féerique : le pays de mes souvenirs.
J’y vis la plupart du temps, même quand je m’affaire à des affaires de la vie courante. Même quand je suis avec des amis et que l’on parle de choses qui n’ont rien à voir avec mes souvenirs. Même en voyage, en festival, en concert, en évènements de toutes sortes : tout ce que je vis ou vois, ma tête le transforme sur-le-champ en souvenir, quitte à le défigurer peu ou prou, afin de le rapprocher d’un ou de plusieurs souvenirs plus anciens. Je sais que ça se passe ainsi dans la tête de tout le monde, mais en moi on pourrait vraiment dire que c’est maladif, du moins obsessionnel. Il n'est pas rare qu'il me prenne de raconter à des amis, en présence même des témoins oculaires, une version franchement déformée de ce que nous avions vécu. Je ne vous dis pas combien ils sont outrés de ce qui pourrait relever selon eux du "mensonge", ou tout au moins de pur fantasme. En vérité, tout se passe dans ma tête comme si j’étais en train de leur raconter, en lieu et place du présent, un ou d’autres souvenirs plus anciens. Peut-être que ma tête en a besoin pour s’assurer que celui-ci ne porte sur lui rien de désagréable qui pourrait contaminer les autres souvenirs avenants. Au point d’éclipser pour de bon l’instant présent. Et que l’on veuille bien me croire, une telle disposition d’esprit m’a toujours empêché de vivre pleinement ma vie au présent.
Mais par contre, j'y gagne beaucoup plus que je ne perds : mes rêves sont toujours des rêves heureux. Je m’en rends compte lorsque l’heure du réveil approche, et qu’alors je me surprends, je surprends mon autre, mon vrai moi-même à proprement parler, encore en vadrouille dans quelque beau souvenir dans le pays de mes souvenirs.
Et si bien que le plus souvent, j’ai le sentiment que ma vraie vie commencerait lorsque j’aurais quitté cette vie-ci pour n’être plus – et pour toujours - que dans le pays de mes souvenirs...
PS : Ce texte, comme quelques autres, avait été écrit (dans sa première mouture) du temps où j'écrivais "Eloge de l'exilé", mais je ne l'y avais pas intégré, parce que sa tonalité est quelque peu à part...

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