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Billet de blog 24 mars 2018

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Ah Kharmoudi? Un danger pour la France !

Vers la fin des années 70, Hassan II, notre ami le roi du Maroc, bénéficiait de grandes amitiés, voire même de fraternité, avec les dirigeants français. D'où une chasse aux sorcières en France contre ses opposants. En ce temps-là donc, un jeune homme fut victime de cette complicité assassine.

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UN DANGER POUR LA FRANCE !!!

Il y a 40 ans exactement, la vie de ce jeune homme avait failli basculer dans le tragique. Il représentait un danger absolu pour la France, du moins aux dires de Monsieur Bonnet, Ministre de l'intérieur de l'époque, sous ce cher Giscard qui avait roulé la France dans la farine avec son jeune âge, son réformisme et... son modernisme...
Et comme ce bon Giscard était l'ami des Bokassa (et ses diamants), des Hassan II (et ses prisons-mouroirs), et comme notre jeune homme était des plus révoltés, des plus opposants à la tyrannie marocaine (mais excluant toute violence), il fallait bien que malheur arrive.
Les policiers, peut-être craignant le pire, avaient envahi le quartier Battant (Besançon) en grand nombre. Y compris sur les toits, et armés jusqu'aux dents. Malgré tout, notre jeune leur avait échappé avec une insolente facilité. Ce qui en disait long sur lui, n'est-ce pas, comme l'avaient suggéré quelques jolies mauvaises langues. En vérité c'était juste parce que les policiers se comportaient de façon trop voyante, et donc stupide.
Dans l'histoire, seule sa jeune compagne avait été vivement malmenée par les policiers de la DST qui la sommaient de dire lequel j'étais parmi ces hommes en armes dans les affiches révolutionnaires sur les murs de notre unique pièce. malgré sa jeunesse et les menaces, elle s'était moquée d'eux en leur montrant la belle photo du beau Che Guevara avec son beau béret et son beau cigare. Elle avait dû passer la nuit en garde à vous au commissariat, et n'avaient cessé de lui faire avouer combien son compagnon était dangereux. Avec toutes sortes de menaces à la clé, y compris une menace d'expulsion de France, contre elle toute bonne française de souche maquisarde qu'elle était.
Et il y avait eu tout de suite un large mouvement de solidarité. D'abord à l'Université, puis dans toute la ville. Il y avait eu des grèves de la faim (symboliques) dans quelques villes françaises, à l'initiative d'un syndicat étudiant marocain. Il y avait eu des manifestations à Besançon (jusqu'à 4000 participants scandant : "Nous sommes tous des Kharmoudi"). Encore aujourd'hui, ça me fait chaud au cœur
Le Préfet de région était on ne peut plus emmerdé. Voyez donc : pour calmer le mouvement, il fallait que l'avocat de notre jeune puisse porter l'affaire devant la justice. Mais pour ce faire, il lui fallait obligatoirement l'arrêté d'expulsion. Que le malheureux Préfet n'avait ordre de donner qu'à l'intéressé en personne. Lequel, le cas échéant, mesure d'urgence absolue faisant force de loi, aurait été alors immédiatement arrêté et renvoyé dans beau son pays, et en particulier dans les centres de torture du sadique Hassan 2. 
Las, l'avocat avait menacé le préfet que le jeune allait se présenter à la Préfecture, mais enchaîné à lui ainsi qu'au Maire de la ville (Robert Schwint) et au doyen de la Faculté de Droit. Ainsi qu'une manifestation monstre.
Étrange dilemme. Finalement le Préfet et son ministre avaient cédé devant cette menace, mais surtout devant un mouvement de solidarité inattendu en un décembre glaciel sur Besançon et sur la France. Et alors le jeune homme était resté caché trois mois et dix jours, dans l'attente d'une décision de justice. Et tout le long de ce calvaire, il allait vivre l'une des plus belles expériences de toute sa vie : être pris clandestinement en charge par ce que la France comptait de plus généreux. De ceux-là qui honorent l'humain. Et auxquels ils se sent toujours en dette.
On le changeait constamment d'endroit et de famille d'accueil, afin de ne pas attirer le soupçon. Il faut dire que la Police était partout, en grand nombre, sur les dents. Mais ce n'était pas pour lui. Car au même moment, un commando des Brigades Rouges avait séquestré le patron du patronat allemand. Et la rumeur courait qu'ils avaient des complices à Besançon. Il y aurait même eu une perquisition au domicile d'un élu municipal (qu'on disait proche - par des liens familiaux - de l'avocat de la bande à Baader).

Illustration 1


Au bout de 3 mois et demi de calvaire, tout allait rentrer dans l'ordre. Le Ministre avait perdu à plate couture devant la justice. Le Tribunal administratif et le Conseil d’État n'avaient rien trouvé dans le dossier, à part l'affirmation que notre jeune était des plus dangereux. Pourquoi? Une question de secret défense ? Non ! Que lui reprochait le Gouvernement français? Rien, si ce n'était son opposition au roi de son pays. Ou son soutien à la question palestinienne.
Ou son aide aux immigrés isolés dans les foyers. Quel délit, à part « s'être introduit illégalement dans une propriété privée » ? Entendez par là qu'il s'était rendu dans un foyer, à la demande de quelques uns des résidents marocains, pour les aider dans leurs (infinies) démarches administratives. 

PS : Pour l'anecdote, des décennies plus tard, la direction nationale de ces mêmes foyers se souviendra de notre jeune, qui n'était plus jeune depuis longtemps. Et elle lui refusera d'habiter quelques semaines dans un foyer à Créteil pour Mauritaniens et Sénégalais (pour les besoins d'un film dont on parle actuellement, suivez donc mon regard).
La fin du cauchemar avait eu lieu au mois de Mars, le 10.
Béni soit le mois de Mars !

PS : Si vous voulez plonger dans cette histoire et dans l'ambiance de l'époque, lisez « Ô Besançon » (une jeunesse 70); aux éditions de l'Harmattan.
Mustapha Kharmoudi, Besançon 2016

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