mustapha kharmoudi (avatar)

mustapha kharmoudi

écrivain

Abonné·e de Mediapart

331 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 novembre 2025

mustapha kharmoudi (avatar)

mustapha kharmoudi

écrivain

Abonné·e de Mediapart

Cody la SDF ou le journal de l'abîme

mustapha kharmoudi (avatar)

mustapha kharmoudi

écrivain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cody la Sdf, ou le journal d’une non-vie 
.
Il y a 2 mois j’ai à nouveau croisé Cody, la SDF à la belle plume de peine. A la plume la plus ensanglantée, comme dirait Tolstoï. Elle racontait sa vie au jour le jour, une vie d’alcool de drogue et de rue violente par nuit noire sous les ponts. Et elle me la confiait en toute exclusivité, non pas contre une « pièce de sous » comme dirait la petite fille de « l’Humanité tout ça tout ça », mais contre des cahiers et des stylos.
J’avais déjà publié quelques chroniques sur elle, c’était lors de notre première « rencontre » en 2023. A l’époque, elle « habitait » sur le trottoir de ma rue pour faire la manche, comme tous les SDF et autres clodos de Besançon. Il faut dire que la plus vieille rue de la vieille ville est aussi la rue la plus « moderne », avec les plus « in » des enseignes qui vous vendent n’importe quoi mais au prix le plus cher, afin de vous donner l’apparence d’une belle personne de belle petite importance…
Mais revenons à l’essentiel : Cody. 
A l’époque, elle avait eu vent que j’aimais la poésie, et la voilà qui se mettait un jour en travers de mon chemin de retour de marche. Elle m’avait alors arrêté de toute sa petite taille, toute svelte toute maigre toute cicatrisée aux bras aux jambes et au cou. Pour me dire qu’elle écrivait…
S’en était suivi une belle relation qui se voyait de loin dans ma rue : dès qu’elle me voyait de retour de marche, elle venait à ma rencontre. On se mettait à l’écart, on s’asseyait par terre au grand dam des badauds, et elle me lisait des bouts de peines humaines, de ces peines qui ne se soignent guère, d’où le trop de drogue et d’alcool… et de déchéance...
Et en échange, je lui offrais des cahiers et des stylos quand elle en avait besoin... Mais pas les beaux stylos, m’avait-elle dit. Pourquoi ? Tu ne mérites pas de beaux stylos ? Si si, qu’elle avait répondu, moi je mérite tous les plus beaux stylos du monde, mais pas les clodos qui me les piquent pour les revendre...
Par la suite, elle m’avait confié le » manuscrit » qu’elle avait écrit bien avant. Ne le perds surtout pas, m’a-t-elle dit. Un peu comme si jamais je l’égarais, ce serait « toute sa vie » qui se perdrait à jamais. Je l’avais lu dans la plus grande des épreuves, c’est exactement la même ambiance que « Le journal de Belfort » de Béatrice Douvre. 
Et tout de suite après, je l’ai confié aux Archives Départementales, aux bons soins de Florent. 
Par la suite j’allais perdre Cody de vue. Je savais qu’elle devait s’en être allée dans quelque ville du sud où il fait moins froid et moins gris. Et qu’elle avait dû finir là-bas dans quelque « maison de vacances pour clodos» qu’on nomme centre de désintoxication. 
Et puis il y a deux mois, elle est réapparue comme d’une magie. Elle est venue toute joyeuse à ma rencontre vers le Musée du temps, elle avait encore maigri alors qu’elle était déjà comme un roseau. 
Mais elle avait l’air en forme. J’étais pressé, elle a eu juste le temps de me dire qu’elle a perdu le second manuscrit mais qu’elle l’a encore en tête. Je lui ai dit que ça me ferait plaisir de lui offrir un cahier et des stylos. Vite vite, qu’elle répétait, j’ai hâte d’écrire pour toi ! 
On a convenu que je lui laisse tout ça en fin de journée à la papeterie habituelle. Elle a dit : surtout n’oublie pas n’oublie pas, j’en ai besoin de toute urgence ! J’ai eu juste le temps de me moquer : plus que la drogue ? Mais elle a répondu avec un grand sérieux : Oui, et plus que l’alcool aussi…
C’était il y a deux mois…
C’était il y a deux mois…
Et depuis deux mois, je m’arrête à chaque passage, et les vendeuses de la papeterie, qui la connaissait d’il y a deux ans, ne savent plus où donner de la tête pour me dire qu’elle n’est toujours pas passé… 
Elles savent tout autant que moi que les gens comme Cody ne vivent que sur les bords de l’abîme… 
Si bien que j'ai dû récupéréer le cadeau de Cody pour éviter ces éprouvants face-à-face...
Oh oh Cody… 
MK, le 26 novembre 2025

Illustration 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.