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Billet de blog 30 avril 2018

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Les chroniques de Besançon : La vie furtive

Puis elle finit par dire d'une voix forcée : «Tu es très beau!». Lui ne bouge pas, ne dit rien. On dirait qu'il s'attend à une suite moins agréable. Alors elle s'y reprend, mais déjà d'une voix plus apaisée, comme si le plus dur a été fait. Le plus dur c'est toujours la première fois. Elle rejoue la même réplique, avec un sourire de biais : «Tu es très beau!».

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Les chroniques de Besançon

 La vie furtive

D'abord elle lui fait un grand sourire. Sincère. Aussi beau qu'elle est belle. Puis son sourire s'estompe subitement, comme un reflux d'eau de mer que la vague apporte entre les rochers. Son visage devient de plus en plus pâle, une statue grecque, elle est plus belle qu'une statue grecque.
Maintenant elle fixe l'homme d'un regard étrange. On sent qu'elle s'apprête à lui annoncer quelque chose d"important, d'essentiel. On se demande ce que ça peut être, mais rien en elle ne livre le moindre indice.
Je ne vois pas l'homme de face, mais je l'imagine happé par son regard, un regard d'yeux noirs et grands. Hypnotiques. Rien en lui ne bouge. Ni ne frémit. Sans doute s'attend-il au pire, à moins que ça ne soit au meilleur. Mais avec une telle beauté qui le tient en joug, même le meilleur pourrait s'avérer pire.
Puis elle finit par dire d'une voix forcée: «Tu es très beau!». Lui ne bouge pas, ne dit rien. On dirait qu'il s'attend à une suite moins agréable. Alors elle s'y reprend, mais déjà d'une voix plus apaisée, comme si le plus dur a été fait. Le plus dur c'est toujours la première fois. Elle rejoue la même réplique, avec un sourire de biais : «Tu es très beau!».
Lui ne bouge toujours pas, je ne vois pas l'expression de son visage, mais je le suppose dans l'étonnement, la surprise. On dirait qu'il ne s'attendait pas à une telle déclaration, aussi douce que fracassante. Son visage à elle reste impassible. Peut-être pour être prête à tout recevoir, le meilleur comme le pire, à mi-chemin de je ne sais quoi qui représenterait je ne sais quoi dans sa vie.
Était-ce juste une déclaration aimante mais sans conséquence...
Soudain il dit: « Ah si ce n'était cette fichue différence d'âge ! ». Elle répond du tac au tac: « Et même ! ».
Elle l'observe encore, mais avec plus d'attention, comme si elle allait ne plus le revoir. Et elle dit: «Tu es très beau !», et sa main gauche lui frôle le visage avant de lui remonter la mèche qui libère le front. Sur lequel elle appose un baiser. Lui, sans doute par gêne, improvise un baiser sur le dos de sa main.
Elle se redresse. Droite. Royale. Et lâche d'une voix conquérante: « A très vite ! ».
Et s'en va, avec la plus belle des grâces, avec tout ce que sa beauté a de gracieux, de dansant.
Elle ne l'entend même pas répéter d'une voix lâche : « A bientôt ! ». Comme si elle n'avait pas besoin de réponse. A quoi que ce soit. Elle avait envie de dire quelque chose, elle a fini par trouver la force de le dire, et c'est tout...
Je ne sais pas si lui, il continue à la regarder, ou bien s'il a déjà la tête ailleurs, dans le magma de ce qu'un tel échange a pu déverser sur lui...
Puis le silence. Et puis soudain, il se met à fredonner d'une voix mélancolique:

Il suffirait de presque rien
Peut-être dix années de moins

Puis il se tait. Avant de reprendre d'une voix moqueuse :

Il suffirait de presque rien
Peut-être vingt années de moins

 Il s'arrête à nouveau. Reste longtemps immobile, silencieux. Comme pensif. Et soudain, tout en riant :

Il suffirait de presque rien
Peut-être trente années de moins

MK, Minjoz, fin Avril 2018 

Illustration 1
Anita Ekberg, La Dolce Vita, Fellini

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