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Billet de blog 30 avril 2024

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Moroccan badass girl, un film de Hicham Lasri

(...) 5 – A moins que ce ne soit tout simplement l’histoire d’une jeune femme – marocaine – qui, comme toute femme marocaine belle mais de condition modeste ne rêve qu’à une chose : se marier à un homme européen pour se casser de ce pays pourri ? - Là non plus, malheureusement pour vous.(...)

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"Marrrrokiya 7arra" 

Tfou, devrais-je dire par la voix de Katy. J’ai beau tourner tout ça dans ma tête, je n’arrive pas à trouver par où commencer. Il n’y pas véritablement de mots pour rendre compte du nouveau film de Hicham Lasri. C’est un peu comme si quelqu’un me demandait, sans qu’il l’ait jamais vu, de lui raconter « Les temps modernes » de Charlie Chaplin. Je dirais quoi, hein ? Ou ce film déjanté qu’est le merveilleux  « Brazil ». Ou même « Affreux sales et méchants » du temps de ma jeunesse rebelle. Ou un peu plus tard, «  Delicatessen ». Ou cet ovni de « Dogville ». 
Dans ce genre de film, tel celui de Hicham Lasri, tu as beau disserter du plus beau que tu sais disserter, tu resteras toujours en deçà du génie qui est distillé dans la moindre réplique, dans le moindre plan, dans le moindre regard, dans le moindre Tfou de la tonitruante Katy.  
Mais bon, puisque je suis mis à l’épreuve, essayons :
1 – Marrokiya 7arra, est-ce l’histoire d’une jeune femme marocaine qui habite un quartier pauvre de Casablanca, dans une famille pauvre, très pauvre ?  
- Ben non, retenez vos larmes pour vos propres peines, car là, il n’y a aucune place pour les pleurnicheries. 
2 – Alors serait-ce la tragique histoire d’une jeune femme qui se retrouve totalement perdue parce qu’elle perd – arbitrairement - le tout petit job qui lui permet de survivre et de faire survivre sa famille ?  
- Mais non, gardez votre colère pour vos propres misères...
3 – Ou peut-être est-ce l’histoire d’une jeune femme marocaine en révolte totale contre cette fichue société patriarcale où seuls les hommes ont droit à la décision, aussi bien dans la vie publique que dans la vie privée ? 
- Hé non, là encore, c’est raté ! 
4 – Et pourquoi ne serait-ce pas tout simplement l’histoire d’une jeune femme qui voit le temps passer, alors qu’elle n’a toujours pas trouvé de mari à sa taille (au sens propre comme au figuré) ? 
- Là encore c’est à côté...
5 – A moins que ce ne soit tout simplement l’histoire d’une jeune femme – marocaine – qui, comme toute femme marocaine belle mais de condition modeste ne rêve qu’à une chose : se marier à un homme européen pour se casser de ce pays pourri ? 
- Là non plus, malheureusement pour vous.

Et pourtant toutes ces hypothèses sont vraies, c’est même l’ossature du film, la colonne vertébrale. Disons que j’ai tout dit en disant cela.
Sauf que le génie, c’est comme le diable, ça se glisse dans le détail. Et le détail, comme dirait mon ami Gérard Marion, c’est au millimètre dans ce film. 
Et d’abord l’image. De toute beauté, dans un Casa que Hicham a dépeuplé, comme par ras-le-bol de ne jamais marcher dans une rue sans croiser un million de personnes qui te prennent la tête comme seuls savent le faire les casablancais : violents, vulgaires, et insolents, racistes contre tous les autres Marocains. Bref, « Qallat Trabi » (de peu d’éducation) , comme disent d’eux les Marocains…
Et ensuite tous les personnages sont magiques, y compris celles et ceux que l’on ne voit que furtivement. Le soin du moindre détail, donc. 
Et enfin – et surtout – cette incroyable comédienne, Fadoua Taleb, que je vois pour la première fois. Un bolide, un ouragan, une sorte de Cyrano au féminin. Avec des « tfou » sublimes à toutes les phrases. 
Et savez-vous ce qu’elle a fait quand elle a fini de passer un savon à la terre entière, et d’abord aux casablancais (ce qui m’a comblé, moi qui suis Mzabi) ? Elle s’en est pris violemment au réalisateur du film. Non mais, il se prend pour qui ce mec ? Il croit que je suis là à son service ou quoi ? 
Et que ça soit dit en passant, là je suis solidaire avec elle, (j’espère seulement que Hicham n’aura pas eu la patience de lire cet article confus jusque là)

Bref, je me suis éclaté, et j’ai été heureux – digne de Katy – d’avoir perturbé tout le monde autour de moi pendant la projection. Avec mes incessants éclats de rire, qui ont couvert la moitié des dialogues. Et tant pis, ils n’ont qu’à revenir le voir quand je ne serai pas là. 

« Tfou » est une expression maghrébine qui symbolise le crachat. Et dont les casablancais abusent au point qu’on l’entend dans leur bouche même quand ils lisent de la poésie ou des textes sacrés (tfou 3la bidaouas !)

Mustapha Kharmoudi

Illustration 1
Morrocan Badass Girl © Hicham lasri

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