Les chroniques de Besançon
Fais un vœu !
L'homme la voit arriver de loin, et aussitôt il s'arrête de travailler. Qu'est-ce qu'elle vient faire de si bon matin ? Elle marche à l'ombre des grands arbres de la place Granvelle. Elle avance fixement, sans regarder personne. On la dirait une princesse qui se promène dans le jardin de quelque royal château de la Loire. Elle ne semble pas inquiète, au contraire, ses pas sont fermes et alignés, comme ceux d'un mannequin de mode. Ils indiquent une détermination à toute épreuve. Une obstination, tels ces navires qui tracent leur chemin en haute mer, droit devant eux, avec la certitude d'arriver à bon port.
L'homme sourit en suivant son avancée. De plus près, elle se met à regarder dans sa direction, comme si elle voulait s'assurer de sa présence. Mais elle ne semble pas le voir. A cause des reflets sur les vitres ? Ou des reflets de ses pensées ?
Elle arrive vers lui par la porte dérobée. Tout sourire, elle agite ses mains. C'est sa manière à elle de dire aussi que tout est bon, puisqu'elle va bien, elle. Il se sent rassuré, et à son tour il affiche un sourire de bienvenue.
Elle essaie d'ouvrir la porte, mais la porte reste close. Il lui fait signe qu'elle est fermée à clé, mais elle n'en tient pas compte. Ou ne comprend pas. Elle est juste pressée d'arriver à lui, et du coup elle insiste. Elle tire dessus à deux reprises, puis finit par abandonner en écrasant une mimique d'irritation. Mais à la seconde même, la grimace se transforme en sourire, en beau sourire. Il n'est pas question que ce piètre obstacle contrarie en quoi que ce soit son humeur sereine, voire joyeuse.
Elle fait donc le tour par la grande terrasse. L'homme se lève pour aller à sa rencontre. Il tombe dans ses bras, et elle l'accueille en l'enlaçant. Ils échangent plusieurs bises à la manière de la rive sud de la Méditerranée. Et au moment de changer de joue, elle laisse ses lèvres frôler les siennes. Comme par mégarde. Il sourit, mais juste en son for intérieur, pour ne pas gâcher le charme du jeu. Il y est accoutumé, ce n'est pas la première fois qu'elle lui vole un baiser-papillon. Sauf que d'habitude elle le fait avec une certaine discrétion.
Là, c'est une manière de dire : On est - enfin! - libres, non ?
Il pense qu'elle a raison. Il regarde ses lèvres pleines d'amour, et il en éprouve un désir aigu, presque violent. Il aimerait bien faire pareil, lui aussi, lui voler un baiser. Mais il ne sait pas faire. Elle seule a la maîtrise de ce jeu semi-érotique. Et ils savent de concert que tant que c'est elle qui en prend l'initiative, ça ne prête à aucune conséquence. Par contre, si ça venait de lui, il n'est pas sûr que ça ne déclencherait pas quelque tornade.
- J'ai une très belle nouvelle à t'annoncer !
- Assieds-toi et raconte !
- Non, ça ne se raconte pas, ça se voit ! lâche-t-elle en riant d'un rire carnivore, avant d'ajouter : Et en plus je peux rien montrer avant 13h...
Il pense qu'elle a enfin acquis ce fameux studio sur les quais, avec vue sur le Doubs, pour y installer ses bureaux. Mais il n'en dit rien, il essaie même de chasser l'idée de sa tête, c'est son côté enfantin : une surprise doit rester une surprise...
Le serveur arrive, mais elle ne veut rien. Elle veut aller marcher le long du Doubs. Elle dit qu'elle n'a pas eu le temps de courir cette semaine. Elle se plaint de se sentir ankylosée.
- Tu veux aller où ?
- un endroit que tu ne m'as pas encore montré...
- Un endroit où on peut manger aussi ?
- Non, ça c'est déjà prévu avec la surprise...
Une demi-heure plus tard, ils sont à la Double Écluse, une promenade que lui chérit particulièrement. Loin de la ville.
Ils marchent la main dans la main, affectueusement. C'est souvent lui qui lâche, et c'est souvent elle qui reprend. Comme un droit, un acquis est un acquis.
Plus loin, l'homme s'arrête brusquement tout en lui serrant fortement la main. A lui faire un peu mal. Il mime le signe de se taire. Et tous deux se mettent à avancer pas à pas, à pas de loup. Ils s'arrêtent devant un petit talus en pente qui borde l'eau. Sa main agrippe la sienne, et à nouveau ça lui fait mal. Puis il la lâche, et tape nerveusement sur ses mains. Aussitôt un bruit s'échappe du buisson. Un oiseau s'envole :
- Regarde !
- Quoi ?
- Le martin-pêcheur, là...
- Le quoi ? Où ça ?
Le vol du martin-pêcheur est furtif, rapide et droit. A ras l'eau. D'un rien on le rate. Et là, elle l'a raté, au grand désespoir de l'homme. Qui le suit du regard et le voit se poser sur l'autre rive de la rivière.
Il est déçu. Il se met à avancer négligemment. Quand soudain, quelque chose fait fuir à nouveau l'oiseau peureux. Il le voit revenir vers eux, avant de s'affoler à leur vue, et de prendre un large virage vers ailleurs, derrière eux :
- Regarde, regarde, regarde !
- Oooh ! Comme il est beau ! Il brille !
- Vite, fais un vœu !
- Quoi ?
- Vite, vite !
Elle se fige tout en suivant le vol plané du regard.
- Alors tu l'as fait ?
- Oui ! dit-elle avant d'ajouter : C'est comme pour le Marquis sur le pont Battant ?
- En quelque sorte ! fait-il dans une petite contrariété. Avant de poursuivre : Sauf que le marquis est disponible tout le temps, et du coup ses vœux ça vaut pas ceux d'un martin-pêcheur... ha ha...
- Ha ha ! Tu y crois vraiment, toi, à cette histoire de vœux ?
- Oui... un peu... en tout cas, ça peut aider si on est déjà décidé !
- C'est mon cas !
- Alors voilà : faut que tu aides le vœu en le voulant de tout ton être, et en faisant tout pour le réaliser...
- Tu crois ?
- Absolument !
- Ok !
Elle avance vers lui, empoigne ses épaules de ses deux mains fermes, et l'embrasse. Mais pas comme les baisers habituels, ces baisers-papillons qui n'engagent à rien. Là, elle l'embrasse avec grand désir. Et ces choses-là, quand c'est désirable, c'est tout de suite contagieux. D'abord il est surpris, mais se laisse faire, après tout c'est lui qui a provoqué cette situation. Puis très vite, il y prend goût, lui aussi, et ses bras et ses mains se mettent au travail.

Ils sont tout émus :
- Voilà, j'ai aidé mon vœu ! Ha ha !
Il ne rit pas, il ne bouge pas. Elle lit le grand désir dans ses yeux, et elle veut recommencer. Il esquive :
- Mais ça y est, tu l'as eu ton vœu !
- Ok, bon, mais si j'en trouve un autre, je referai le même vœu...ha ha...
Ils reprennent leur marche avec ce désir ardent qui maintenant les malmène. Ils n'ont d'yeux que pour guetter le mystérieux volatile. Mais les martin-pêcheurs ne sont pas un peuple en nombre, si bien qu'après un bon trajet, ils se retrouvent bredouilles.
Sur le chemin du retour, ils passent devant un emplacement pour barbecue, en retrait du chemin de halage. Alors elle le prend fermement par la main, et le tire dans les bois. Elle l'embrasse comme pour un vœu, il en est tout chamboulé, mais il feint la protestation :
- Ah non, c'est fini le vœu !
Elle rit, d'un rire joyeux, heureux. Mais son rire est tout de même voilé par le désir qui s'empare de tout son corps. Il le voit dans ses yeux, mais surtout dans sa manière de ne pas pouvoir retenir ses seins qui s'apprêtent à déstabiliser son corps. Et tout cela aiguise davantage le sien, de désir. Les siens.
Soudain elle lui dit :
- Ah ça y est, j'ai une idée ! Tourne-toi et ferme les yeux !
Il obéit, non sans s'inquiéter de son manège. Il l'entend trifouiller sur elle. Puis elle finit par dire :
- C'est bon ! Tu peux regarder !
Elle tient dans sa main une petite culotte bleu-fluo, comme le martin-pêcheur. Et dans un grand éclat de rire, elle tourne autour d'elle en le faisant voler au bout de son bras tendu vers le ciel :
- Alors je peux donc à nouveau faire un vœu !
- Quoi ? Tu portes ça ? Tu fais du striptease ?
- Non, c'est juste pour cette occasion !
- Tu savais qu'on allait venir ici ? Le martin-pêcheur... et tout ?
- Mais non ! C'est pour la surprise de tout à l'heure ! Tu verras !
Elle le tire vers le banc, le fait asseoir, et s’assoit sur lui à califourchon. Le contact de leurs sexes les excite davantage. Elle l'embrasse goulûment, commence à l'assaillir de tout son corps quand soudain elle se relève apeurée :
- J'ai cru entendre quelqu'un arriver !
- Et alors ?
- C'est juste une petite avance ! Je prendrai le reste tout à l'heure !
Et avant de ranger la petite culotte dans son sac, elle l'agite et lâche dans un bonheur sans fin :
Là, je sais que j'ai de quoi faire tous les vœux du monde, et je les réaliserai tous ! Ha ha...
MK, Besançon, mai 2018