Chroniques marocaines
Ah les beaux touristes !
Ici, au milieu des touristes qui ne font aucun effort pour comprendre leurs hôtes – qui se retrouvent réduits à les servir, et comment - je ne me sens à l'aise que très tôt le matin. Là, je peux prendre mon petit-déjeuner en toute quiétude, pendant que ça dort encore d'avoir trop veillé à papoter de tout et de rien. En particulier de ces choses-là qui te donnent l'impression que c'est grave, alors que ce n'est que du petit bobo des gens heureux. Et loin de moi tout jugement négatif, car je sais que toute vie humaine est ainsi: le moindre souci peut prendre en nous une grande ampleur. Et c'est même légitime, à mes yeux.
Mais voilà : le problème c'est juste que ça fait vulgaire de se plaindre de ces rien de bonheur dans cette région du désert où les gens manquent de presque tout. Ça te montre à quel point ces touristes, qui ne se parlent qu'entre eux, n'ont même pas d'yeux pour voir combien ces habitants du désert son démunis. Cela dit ils ne sont pas les seuls fautifs : ces même Touaregs affichent constamment un air joyeux, voire heureux. Si heureux et si joyeux que ça peut même rendre les touristes jaloux... Comme l'animatrice d'hier qui m'a raconté combien elle a fait de sa vie une vie réussie, une oeuvre d'art... pff...
Ce matin, j'ai enfin pu échanger avec Youssef le cuisinier, l'adorable Youssef. Depuis que je suis arrivé, dès qu'on lui laisse le loisir, Youssef me relate par petits bouts – tout en retenue - une vie riche et complexe. Riche de vie et d'expériences de la vie. De la vie dure. Dure. Ici, pour nourrir ta famille, il te faut bosser dans le tourisme, ou alors remonter loin dans le pays. Et lui justement, il a été jusque là-haut dans ma région natale. Et il sait en parler avec une touchante tendresse. Une nostalgie.
Il en est de mes amis de France et du Maroc qui s'imaginent que je suis tranquille dans le désert, isolé, et que j'ai tout le temps qu'il me faut me méditer. Mais non, hélas. Ici les bonnes gens touristiques occupent tout l'espace. Et il faut me croire, ça sait si bien y faire, n'est-ce pas. Ça finit par te donner l'impression que ce sont eux qui sont chez eux, qui décident, en tout cas ce sont eux seuls qui donnent le tempo à tout.
En vérité je me fiche de tout cela. Je sais que les touristes viennent pour le Sahara - et non pour les gens, à part... euh... comment dire... euh... c'est mieux que je ne dise rien.... Disons que je sais donc tout cela, et je sais aussi qu'il y a de bons professionnels marocains qui savent leur vendre ce qu'ils viennent chercher dans le désert. Voire plus si affinités, n'est-ce pas. Et je peux même dire que c'est équilibré à mes yeux.
Je sais tout cela, et je sais le respecter. A la condition qu'on me laisse me faire ma petite place dans leur cafouillis. Mon espace privé. Mais ce n'est pas toujours donné, et encore moins acquis. Il me faut le défendre, le cas échéant. Et le cas échoie souvent, hélas. A me forcer à faire preuve d'une certaine agressivité. Voire une agressivité certaine, donc excessive, je le reconnais...
Au Maroc, c'est encore pire. Pourquoi ? Mon drame à moi, c'est que les touristes finissent par me confondre avec les gens d'ici, même s'ils savent que l'essentiel de ma longue vie s'est fait et se fait en France. Cela dit, je les comprends un peu, puisqu'ils me voient parler constamment en arabe. D'abord à longueur de journée à mon djinn de compagnie et à mon ami et hôte, les deux seules personnes qui peuvent à tout instant venir me déranger dans mon coin isolé de l'immense auberge. Mais aussi aux enfants du périscolaire, où je vois toujours parmi eux le petit garçon que j'avais été. Et à ceux dans la rue qui me reconnaissent. Et à, l'impressionnante animatrice dont j'ai déjà parlé dans ma dernière chronique. Les touristes français me voient aussi parler aux vieux qui s'agglutinent à l'ombre d'un mur pour passer le temps. C'est avec eux que je joue au jeu de Dames...
Rien d'anormal donc à cela, puisque je suis originaire de ce pays. Seulement voilà : de ce fait-même, quand ils s'adressent à moi, les touristes le font exactement comme quand ils s'adressent aux gens d'ici. Et on n'a pas idée combien le ton est hautain. Et on n'a pas idée combien ça me vexe.
C'est pour cela aussi que je les évite. Souvent je mange à part, mais parfois je cède à mon hôte et je me joins au repas commun. Ou simplement je me mêle à eux pendant mes pauses. Mais à chaque fois, je le regrette. Et depuis les trois jours où je suis ici, j'ai eu à le regretter trois fois...
Je vous raconte
Par exemple il y a deux jours. J'étais assis sur la banquette marocaine en attendant le repas. Il me fallait vraiment faire un effort pour supporter des discussions décousues et d'une pitoyable banalité. En France il n'y aucune - mais alors aucune - probabilité que je puisse me retrouver d'une manière ou d'une autre en compagnie de ces bonnes âmes. Mais là c'est là, et il faut faire avec.
En face de moi, un type – bien touriste sur lui – trônait sur une chaise, et nous tenait en joue d' un regard assuré qu'
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on aurait dit de suffisance. Un sourire figé inscrivait sur son visage une apparente sérénité. J'adore, ça fait personnage de western. Je restais à le regarder, et peu à peu mon imagination s'est mise à me jouer des tours. Si bien que je suis tombé dans mon propre piège, avec cette question lancinante : quel personnage pourrait-il m'inspirer ? Je dis piège, parce que j'ai eu beau me concentrer, rien ne me venait.
Et pendant que je peinais, il m'a soudain pointé d'un index accusateur et m'a dit d'une voix autoritaire que je me tenais mal. Et qu'il fallait que je redresse mon corps. Et il a mimé le geste à faire. Au même instant, j'ai pris conscience que j'étais effondré sur la banquette comme font d'habitude les Marocains. C'est-à-dire mal. Et m'est revenu à l'esprit que ce touriste avait dit à son arrivée qu'il était rebouteux. Je me suis redressé, et il m'a dit que ce n'était toujours pas bien. Et comme je n’obtempérais pas, il s'est levé pour venir vers moi. C'est alors que je me suis rendu compte que la Dame d'autorité - son amie donc – non seulement était tout aussi mal assise que moi, mais elle affichait un sourire de jouissance, qui semblait me dire : Là, mon petit gars, t'as trouvé plus fort que toi ! Il faut tout de même lui reconnaître que mes caprices – que je sais insupportables à certains autres – lui sont particulièrement à elle qui se sent plus prioritaire que moi...
Je me suis alors ressaisi, et j'ai montré la dite dame au gars qui s'apprêtait à me redresser au propre comme au figuré. Mais ça ne lui a rien fait. Il a juste souri comme pour me dire : elle c'est elle, et toi c'est toi ! Tout en maintenant son autorité à mon égard. Il me demandait d'obéir.
C'est alors qu'une sourde colère a fait changer mon regard, ce qui l'a stoppé dans son élan. Et j'en ai profité pour lui ordonner de mon ton le plus cassant de se rasseoir. Et il s'est rassis comme un gamin tout sage tout poli.
Il y a comme ça des gens qui ne savent pas être égalitaires : ou ils sont dominants ou ils sont dominés. Oui, c'est triste à mourir, mais il en est des gens comme ça.
L'incident aurait se clore sans plus de dégâts. Mais voilà: un peu plus tard, mes échanges avec la Dame d'autorité dérapent à nouveau pour des raisons similaires (c'est là que je m'aperçois que mon côté marocain est un vrai handicap au Maroc, car ces bonnes gens ne m'auraient jamais traité de la sorte en France où je suis français à leurs yeux). Et alors le soi-disant magique-guérisseur - qui n'a pas sa langue dans sa poche, et dont j'ai pu mesurer la belle inculture – m'a dit d'autorité que c'est son amie qui avait raison, et il m'a intimé l'ordre – de la même autorité – d'en rester là. Et comme ça m'a fait sourire, il s'est tourné vers son amie, et lui a dit d'une voix compatissante : Laisse tomber, il peut pas comprendre ! Peut-être a-t-il oublié une fraction de seconde que je comprenais le français. D'autant que nous ne parlions que de futilités, bien sûr...
Et soudain, en moi-même j'ai choisi de ne pas avoir compris.
Et à la réflexion, je n'étais nullement en mesure de comprendre leurs futilités..
Voilà voilà.
A part ça, le magique festival de Taragalte, c'est demain...
(MK, Taragalte, 30octobe 2019