La création d’Adam
Et donc voilà, tout allait changer avec cette mission, pour le moins originale. Elle consistait à fabriquer un être en terre, afin que Dieu puisse y projeter Sa propre image. Gabriel, lui, en était tout épaté, tout béat. Et inutile de te dire que pour ce qui me concerne, très tôt j’avais renoncé à distinguer une quelconque ressemblance. Tant l’Un n’est que pure lumière, et l’autre terre sombre.
Et crois-moi, aussi bien pour Gabriel que pour moi-même, cette mission était loin d’être un réel privilège.
Mais bon, Dieu avait d’abord pris tout son temps pour nous habituer, pas à pas, à voir ce qui n’était pas lumière, lumière divine. Et on avait fini par acquérir cette étrange faculté de distinguer la matière sombre. Et le plus étrange, c’est que nous voyions bien, Gabriel et moi, qu’il n’y a jamais rien de beau dans ce qui est sombre. Dans ce qui se refuse à la lumière de Dieu. Mais bon, Dieu est Dieu, et nous ne pouvions que nous soumettre à Sa volonté, quelle qu’elle fut.
Et puis quand Dieu avait jugé que nous nous étions suffisamment adaptés à cette faculté, Il avait décidé de nous faire fabriquer Adam, à partir d’un tas informe de terre. Et c’était très difficile pour nous deux, car l’argile, la terre, nous éloignait trop de la lumière. Et crois-moi, si ce n’était Dieu qui nous y astreignait, aucun de nous deux n’aurait accepté cette quasi-négation de ce que nous étions. De ce que nous sommes, c’est-à-dire lumière divine, et rien que lumière divine.
Bref, Gabriel avait été choisi pour être les yeux de Dieu, et moi-même pour être Ses mains. Et c’est pour cela qu’il n’est resté à Gabriel que quelques éclats d’argile sur lui, alors que moi c’était de tout mon être que j’avais mélangé la terre, l’avais malaxée, façonnée. Et il s’en était suivi ce qui s’en était suivi : tout sur moi avait été fortement barbouillé de terre. Au point que je ne voyais plus la lumière de Dieu avec la même clarté qu’avant. Cela me peinait tellement que j’avais fini par demander à Dieu de vite m’en débarrasser. Et comme Dieu voyait que je n’adhérais que du bout des lèvres à son projet, toute remarque de ma part sur Adam le rendait excessivement susceptible. Et il fallait s’y attendre, Dieu s’en était vexé, et Il m’avait puni en décidant que je les porterai sur moi, à jamais.
Au début j’en avais été trop affecté, révolté, je me sentais déchu. Et plus j’enrageais, plus j’en voulais à Dieu. Et j’en voulais davantage à Adam, même s’il n’était lui-même qu’une pauvre victime. Et c’est vrai, le malheureux n’avait demandé à personne de le créer, et encore moins à le faire tel qu’il était, là, devant moi. Et franchement, de lui et de moi, c’est de loin, de très loin lui qui allait en baver le plus…
Et si ce n’était une affaire de Dieu, j’aurais juré que ce n’était, là, qu’un caprice d’enfant gâté, qui s’extasiait devant son jouet. Mais bon, il me fallait accepter mon sort, car je savais à quel point Dieu pouvait être le plus impitoyable qui soit. Et plutôt que son courroux, c’était mieux que j’escompte son pardon, dans l’espoir de recouvrer mon être d’ange, sans plus jamais cette fichue moisissure.
Et ce n’est que plus tard, bien plus tard, que je découvrirai un aspect singulier de mon état. C’était justement ces taches sombres qui me feraient voir les hommes tels qu’ils seront vraiment, dans leur réalité sur terre. De son côté, Gabriel, pour n’avoir sur lui que peu, ne verrait d’eux que ce qui se refléterait sur leur âme. Disons leurs pensées, leurs rêveries. C’est-à-dire ce qui se passe dans l’âme des hommes, quand leur âme de lumière réussit à prendre de la hauteur, par rapport à leur corps de terre. Autant dire qu’il ne pouvait voir que très peu d’hommes, et encore, uniquement dans de très rares moments de leur vie.
J’y reviendrai assurément.
(A suivre)
Mustapha Kharmoudi
Besançon le 30 décembre 2023
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