Ce lundi 22 septembre 2025, Emmanuel Macron prendra la parole devant l’Assemblée générale de l’ONU pour annoncer que la France reconnaîtra la Palestine comme un État. On voudrait saluer cette décision comme une réparation tardive mais il faut d’abord la regarder pour ce qu’elle est : une fenêtre fragile qui peut ouvrir sur la justice ou se refermer en vitrine diplomatique. Reconnaître la Palestine n’est pas un cadeau mais l’aveu qu’un droit élémentaire a été piétiné pendant des décennies. Si cette reconnaissance n’est qu’un geste protocolaire sans sanctions, sans embargo et sans contrainte réelle, elle ne sera qu’une illusion morale permettant à l’Europe de se donner bonne conscience.
Depuis octobre 2023, Israël a transformé Gaza en un champ de ruines et de cadavres. Les bombardements massifs ont pulvérisé des quartiers entiers. Les déplacements forcés, répétés parfois une douzaine de fois pour les mêmes familles, n’offrent plus d’abri: ils rejettent les survivants dans la rue, privés même de l’ombre d’un refuge. La famine organisée achève ce que les bombes n’ont pas détruit. Le Comité de classification de la sécurité alimentaire a confirmé que les seuils de famine ont été franchis: des enfants meurent les ventres vides, des malades succombent faute de soins, des épidémies ravagent des corps affaiblis. Maintenant, nous le savons tous; ce n’est pas un accident de guerre mais une stratégie systématique d’élimination, pensée pour effacer Gaza de la carte et anéantir sa population. Face à cette entreprise de destruction, face à ce génocide qui se déroule sous leurs yeux, les puissances européennes se réfugient dans le confort du symbole. Elles brandissent la reconnaissance d’un État comme si quelques mots pouvaient suffire à couvrir les cris sous les décombres, tout en évitant l’essentiel: imposer des sanctions, interrompre les ventes d’armes, juger les responsables.
La France aime se parler en langue de principe, mais dès qu’il s’agit de traduire ces mots en actes - suspendre les ventes d’armes, geler les relations militaires, sanctionner les entreprises impliquées dans le nettoyage ethnique - le discours se replie aussitôt sur le rituel du « c’est compliqué ». Compliqué pour qui et pourquoi ? Quand ailleurs la volonté politique a existé, on a su frapper des États au portefeuille; ici, le « compliqué » sert trop souvent d’alibi, l’excuse d’une impuissance volontaire et la mise en scène d’une neutralité qui n’existe pas. Pire encore, ce langage déplace le débat: au lieu d’exiger la fin de l’occupation, on s’acharne à « dépolluer » politiquement les Palestiniens. Ce matin sur France Inter, trois analystes - aucun Palestinien - martelaient qu’il faudrait d’abord « sauver les Palestiniens du Hamas ». Le spectacle était grotesque : parler d’un peuple sans lui donner la parole, réduire sa survie à une question de gouvernance, transformer la lutte contre un mouvement politique pour éluder la responsabilité première. Affaiblir ou éliminer le Hamas sans mettre fin à l’occupation qui l’a engendré, c’est préparer la naissance d’autres forces de résistance, peut-être plus fortes encore.
Si la France - que Dieu le veuille - impose des sanctions, qu’elles ne se réduisent pas à la poursuite de quelques têtes au pouvoir. Car il ne faut pas tomber dans le piège des mesures symboliques ciblant des individus; droite ou « gauche », le problème, c'est le régime israélien. Seule une stratégie de sanctions d’État, systématique et maintenue jusqu’à la libération - embargo sur les armes, gel des coopérations militaires, sanctions économiques contre les entreprises qui profitent de la colonisation - peut briser l’appareil qui produit la violence contre tous sur cette terre de la mer au Jourdain.
Il faut nommer ce que la pudeur diplomatique préfère taire. En Israël, la distinction droite-gauche n’existe que dans le champ juif-israélien : nuances pour les Israéliens juifs, indifférence pour les Palestiniens. L’État a institutionnalisé la colonisation et le nettoyage ethnique comme mode de gouvernement; la gauche dite « progressiste » en est complice. Elle concède, du bout des lèvres, un État palestinien démilitarisé et placé sous tutelle. Yair Golan, présenté comme une alternative, a décrit sur son compte X la reconnaissance de la Palestine comme un « échec de Netanyahu » et une menace pour la sécurité, avant de rappeler que tout devait rester sous contrôle israélien. Les uns l’affirment brutalement, les autres l’enrobent de diplomatie, mais tous prolongent la même logique : nier aux Palestiniens le droit d’exister pleinement et légitimer leur éradication, à feu vif ou à feu doux.
Ce consensus israélien trouve en miroir son utilité pour l’Occident puisqu’il permet de réduire la question palestinienne à une fiction diplomatique, celle d’un État sur le papier qui ne menace en rien l’architecture de domination israélienne existante. Ces vagues de reconnaissance servent deux objectifs : permettre à des gouvernements européens de se donner une image de courage moral et éviter de s’attaquer à l’essentiel, la colonisation, l’apartheid et le génocide.
Maintenant que cette vague a traversé les chancelleries, il ne reste plus de refuge dans les mots. Car reconnaître sans briser l’appareil de la colonisation, sans suspendre les armes, sans frapper au portefeuille les entreprises complices, sans traduire les criminels devant la justice, ce n’est pas reconnaître, c’est détourner le regard du génocide en cours. C’est tendre un parchemin à un peuple qu’on laisse mourir de faim, sous les bombes et dans l’exil. La Palestine ne réclame ni compassion ni symboles, elle ne demande pas qu’on choisisse à sa place ses dirigeants ; elle exige la justice nue et entière, la restitution des terres, l’égalité des droits, la fin de l’occupation, la vérité des comptes devant la loi. L’histoire est sans indulgence pour ceux qui se réfugient dans les discours pour couvrir leur lâcheté. Reconnaître et agir, c’est choisir la vérité. Reconnaître et ne pas agir, c’est cautionner le mensonge, c’est accompagner de bénédictions diplomatiques le vacarme des chars israéliens et le silence des fosses communes. À la France, à l’Europe: cessez d’inventer la complexité. Il n’y a pas de complexité dans les ventres creux des enfants de Gaza, ni dans l’attente infinie des réfugiés palestiniens, dispersés dans les camps et les exils forcés. Il n’y en a pas non plus dans les collines de Cisjordanie, où les colons attaquent jour et nuit, tirent pour terroriser et tuer les Palestiniens, incendient des oliveraies centenaires, puis s’introduisent dans les maisons. La seule complexité est celle que vous brandissez pour fuir la justice. Il n’y a pas de neutralité possible face à un génocide. Choisissez la justice qui sauve, ou assumez d’avoir été les complices de l’éradication d’un peuple.