Hier, je me promenais avec Rémi, mon chien. Le soir, c'est magique,
j'ai déjà marché une heure et, maintenant, je sors accompagnée.
Je suis entièrement détendue, la journée de travail est derrière moi,
et, je peux rêvasser.
J'imagine la vie des gens, je vois leurs bibliothèques bourrées
à craquer de livres religieux. Et je me dis qu'ils ne liront
jamais Maya Angelou, Don Delillo ou Orhan Pamuk, pour
ne citer que mes dernières lectures.
J'arrivais presque au bout de l'impasse. Devant moi, de
l'autre côté de la rue, se trouvaient trois petits garçons.
Je connais le plus jeune. C'est lui, avec d'autres gosses,
qui avaient fait des barrages (briques recouvertes de
cartons) sur le trottoir, pour m'empêcher de passer...
Je lui avais dit alors que ses parents ne seraient
pas fiers de lui, s'ils apprenaient ce qu'il avait fait.
Les trois gamins étaient autour d'une boîte d'où un oiseau
essayait de s'échapper.
Visiblement, le pigeon ne pouvait plus voler.
Peut-être était-il malade?
J'ai alors demandé aux enfants de laisser cet animal
s'en aller. Puis j'ai insisté en leur disant qu'il était
dangereux de toucher un oiseau, probablement malade.
L'un des gamins m'a montré les gants en plastique
qu'ils portait.
Là, vous vous dîtes, que ce mioche a vu une série
à la télévision, qu'il veut faire comme un médecin
ou un vétérinaire.
Ces enfants-là n'ont pas accès à la télévision, ni à internet.
C'est interdit. Il a été peut-être été à l'hôpital, ou alors son père
travaille comme ambulancier.
Comme ils ne m'écoutaient pas, j'ai traversé la rue.
Ils se sont levés et le pigeon s'en ai allé.
Je leur ai intimé de rentrer chez eux.
L'enfant aux gants a commencé à marcher
vers l'oiseau, en disant qu'il voulait le
guérir. Mais, il a fini par rejoindre ses
copains, en route vers leur immeuble.
En voyant ce pigeon, et en suivant des yeux
les garçons, je me suis revue, enfant, dans
mon poulailler: poules et pigeons m'entourant,
et j'étais très heureuse. Nous avions aussi un chien,
un chat, des tortues, des poissons rouge et un couple
de canari. Nous les enfants, nous n'avons jamais
rien du demander, mon père adorait les animaux,
surtout ses petits oiseaux.
Non, je ne vivais pas à la campagne.
Nous vivions dans le nord de la France,
dans une maison avec jardin.
Et, mon père décida, un jour qu'il allait
construire un poulailler.
Il invita donc un de ses amis à l'aider.
Je ne me souviens pas de la construction,
mais je sais par contre, que mes parents
racontaient qu'ils n'avaient pas pu payer
cet homme, car, en essayant de faire passer des
cigarettes de la Belgique vers la France,
il s'était fait tué par les douaniers.
Je me souviens des poules picorant dans
notre jardin, les mauvaises herbes.
Mon père leur avait coupé le bout des
ailes pour qu'elles ne s'envolent pas
chez les voisins. Je me rappelle l'aquarium
des poissons que nous placions en été sur le
gazon, pour qu'ils profitent du soleil, notre
chat en était tout ému. J'ai aussi le souvenir
d'une des tortues qui nous avait quittée, en
creusant un tunnel vers l'inconnu.
J'avais essayé de prendre des photos de
notre chat, assis sur une chaise, coiffé
d'un béret et muni d'une baguette. En vain!
Les pigeons et les poules étaient plus
collaboratifs.
Nous avons aussi eu un coq, qui n'a pas
fait long feu, les voisins exigeant qu'il
passe à la casserole, excédés par le
bruit matinal.
Un soir, ma mère nous a annoncé à ma soeur
et à moi, que notre père, si jeune, si fort,
venait de mourir d'une crise cardiaque.
Il avait 49 ans.
Naturellement, j'ai hérité des animaux.
Du jour au lendemain, j'ai dû aller acheter
du blé, du mais. On nous livrait la paille
sur le trottoir. J'entends encore ma mère
ronchonner, car je devais traverser la cuisine
et le salon, pour arriver à la cour. Mais surtout,
nous étions en hiver, j'ai dû casser la glace du seau,
pour que les poules puissent boire, si j'oubliais
je savais que du haut de mes 10 ans, combien
je serais inquiète.
Un jour, mon fils cadet m'a dit qu'il devait
raconter quelque chose de l'enfance de ses
parents. Je luis ai dit de raconter le cassage de glace.
Eh, bien, malgré que beaucoup de ses camarades
venaient de Russie, et quelques uns, même, de Sibérie,
ils se sont tordus de rire.
Alors que je cherchais à acheter une maison, un de
mes fils m'a demandé, si on pourrait avoir aussi
un chien.
J'ai accepté immédiatement.
Pendant toutes ces années passées, je me
suis privée de contacts avec des animaux.
Mon chien, Rémi, 3 ans, a comblé ce vide.
Je ne l'en remercierai jamais assez.