J'étais une petite fille de 7-8 ans.
Mes parents venaient d'acheter leur maison. Mon père
décida de faire venir quelqu'un, pour de menus travaux.
Je me souviens d'une scène: l'ouvrier tenait dans ses mains
le chiffre 3 et le chiffre 4, et devait les clouer
près de la porte. A mon grand étonnement, il ne réussit
pas à le faire correctement!
Mon père arriva, et tout en aidant
cette personne, m'expliqua qu'en arabe, les chiffres
étaient différents...
Un jour, mon père m'a emmenée au marché, qui se tenait,
tous les jeudi, sur la place de notre ville.
C'était inhabituel. Je le voyais surtout le
week-end. Un vendeur lui a adressé la parole.
Mon père lui a répondu en arabe. Et donc,
sous mes yeux, ils ont commencé à converser.
Je ne comprenais rien, et tout à coup, le
vendeur m'a tendu un fruit. Je venais
d'assister à mon premier cours d'arabe!
Ma mère aussi possédait cette langue, mais
mes parents parlaient uniquement français
à la maison.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre
que toute ma famille, sauf ma soeur et moi, était
née en Algérie.
Lorsque je regarde la carte, je mets un doigt
sur l'Algérie et un autre sur Tourcoing.
Rien qu'en regardant cette distance, on comprend
qu'il s'est passé quelque chose.
Il est possible que l'envie d'apprendre l'arabe,
me vienne de l'envie de comprendre mes parents,
de me rapprocher d'eux.
Je ne sais pas grand chose sur leurs vies, mais
il y a beaucoup de tristesse. Une des raisons
qui les ont poussés à ne raconter, que des brides.
Je me souviens d'un des livres de Paul Auster,
où il raconte comment il a apprit la manière dont
son grand-père était mort: beaucoup de versions
de sa grand-mère l'ont conduit à chercher la vérité.
Une vérité dérangeante.
Je pourrai commencer par mon père.
Un premier mariage, une fille, puis un
divorce mal accepté (par sa famille).
Une version qui me vient de ma mère,
dit que sa première femme l'a trompée
et a inscrit sur le livret de famille, un
garçon qu'elle avait eu avec un autre.
Mon père qui était, à cette époque militaire,
a pu aisément prouver qu'il n'était pas
le père. Il a donc décidé de divorcer:
Toute sa famille lui a tourné le dos.
Ma mère, elle, a perdu son père, très
jeune et sa mère, plus tard, est morte
brusquement: elle est descendue du train
par la mauvaise porte.
En se mariant avec mon père, ma mère
pensait renouer avec le bonheur.
Elle a fait sortir mon père de l'armée,
et lui a trouvé un travail dans une banque.
Mon père qui était tailleur, ne trouvant
pas de travail, avait été obligé par sa soeur,
qui payait les factures, à s'engager dans
l'armée à 19 ans.
Une fois mariés, ma mère est tombée
enceinte.
Mon père, un jour, est revenu à la maison,
en annonçant à sa femme, qu'il avait invité
à la maison, les patrons de la banque,
qui étaient venus visiter leur filiale à
Alger.
Ma mère m'a raconté qu'elle était enceinte
jusqu'aux yeux, et qu'elle avait du demander
à sa voisine de cuisiner à sa place.
Cette dernière a préparé des spaguetti
aux moules. Immangeable!
Bon, et peu après ma mère s'est rendue
à la maternité pour accoucher.
Elle a accouché d'un garçon.
A ce moment-là, on tirait autour
du bâtiment, et mon père
a appris la bonne nouvelle par téléphone.
De la même manière, on lui annoncé,
quelques jours plus tard, que le bébé
était mort.
Peu de temps après, mes parents ont
quitté l'Algérie, laissant leur fils
enterré dans une terre, qui n'était plus
la leur.
Beaucoup de gens sont partis, avec eux.
Mais, mes parents ont traversé toute la
France. Tout cela pour arriver dans
un petit appartement , à Tourcoing.
Avec mon frère, ils ont enterré leur
vie passée, et aussi la langue arabe.
C'est tout pour maintenant.
La suite bientôt