Ce que j'aime dans les livres d'Isaac Bashevis Singer,
c'est cet autre monde qu'il nous présente, le sien.
Il était resté le petit garçon qui écoutait, à moitié
caché (sa mère ne voulait pas qu'il l'écoute), les histoires
hautes en couleurs de sa mère.
Vivant en France, je ne savais pas que ces personnages,
décrits dans ces livres, avaient leurs doubles, dans le
quartier, où maintenant j'habite.
C'est comme être dans un film, je détonne un peu.
La plupart des gens sont habillés, pour les hommes,
en costumes noirs avec chemise blanches, et
comme je l'ai remarqué, soit des chaussettes noires,
soit des chaussettes blanches.
Les femmes, c'est simple on ne voit que leurs
visages, mais elles ont droit à plus de couleurs,
Beaucoup ont une perruque.
Il y a quelques temps, ces femmes se sont transformées
en Amishs, en ajoutant des sortes de mouchoirs brodés
sur leurs cheveux.
Lorsque je marche dans la rue, c'est un peu
comme être dans une bulle, où il n'y a pas grand monde.
La bulle des harédims est pleine à craquer, mais il y a
aussi celle les russophones, qui sont un peu moins nombreux
et celle des arabophones, qui sont minoritaires.
J'ai un voisin harédim qui ne me parle, que lorsqu'il
y a un problème. Par exemple, comme son air conditionné
avait fui, je suis monté le voir, et j'ai pu constater
qu'il n'était pas muet.
Mes voisins harédims ne me disent pas bonjour,
ni quoi que ce soit, pour eux, je suis impure,
donc infréquentable.
Heureusement j'ai d'autres voisins qui
ne m'ignorent pas et qui , surtout, sont plus
propres.
J'ai des voisins harédims qui jettent leurs poubelles
par la fenêtre ou les mettent à côté de la poubelle.
Ce que j'aime, c'est parler aux enfants harédims.
Tout d'abord il faut que vous sachiez, que j'ai
un chien.
Pour ces enfants il est impensable que ce dernier
dorme à l'intérieur de l'appartement.
Mais ils ont toutes sortes de questions à poser.
Celle, classique: "C'est un garçon ou une fille?"
A laquelle je réponds invariablement:
"Avec tous les frères et soeurs, que vous
avez, vous savez forcément...".
Ou d'autres comme "Mange-t-il comme nous?;
"Pourquoi est-ce qu'il remue la queue?".
Ces enfants ne sont pas habitués à être en
contact avec des animaux.
Une fois un enfant a prétendu que c'était une vache,
mon chien étant noir et blanc. Il n'était pas
au courant que les vaches peuvent être aussi marron.
Mais la question que j'ai préférée est celle d'un petit
garçon, religieux, mais qui avait le droit de
caresser mon chien. Il m'a demandé: "Est-ce qu'il est
papa?"
Les enfants harédims n'ont pas le droit de caresser
les chiens. Mais quelques uns le font quand même.
Au début, quand mon chien était encore petit,
je ne m'éloignais pas trop de chez moi.
Cependant, lorsqu'il est devenu grand, j'ai
élargi nos promenades. Je le promène
le matin, 45 minutes, le midi 10-20 minutes
et le soir 45 minutes.
A partir du moment où j'ai été dans des endroits
à majorité écrasante de harédims, je me suis
vue traitée de dégoûtante, mon chien aussi, a
eu droit au même adjectif.
Je ne me suis pas laissée décourager.
Ces enfants là, ont besoin de voir autre
chose, et surtout je désire qu'ils s'habituent
à la présence de chiens.
Lentement, la plupart des gens se sont habitués
à notre présence.
Même s'il arrive que certains gamins
fabriquent des barrages sur le trottoir,
avec des briques recouvertes de cartons!
Je parle à ces enfants, qui ne sont pas encore
formatés.
Mon but, c'est de les éduquer un peu, car
leurs parents les laissent dans la rue, dès leurs
plus jeunes âges.
Je n'ai jamais vu des rues aussi sales,
un des jeux favoris de ces enfants
est de chasser les chats ou de réduire
en poussière des pierres.
Quand les garçons grandissent, on les
voit moins, car ils vont étudier en Yéshiva.
Ces derniers n'étudient ni les maths, ni
l'anglais.
Les filles étudient plus, car ce sont
elles qui vont faire bouillir la marmite.
La plupart des hommes ne travaillant pas.
Généralement, dans ce genre de société, les
femmes restent à la maison et les hommes
vont travailler. Ici, non, et donc je vois
de plus en plus des harédims commander
des pizzas, car leurs femmes doivent
non seulement faire une dizaine d'enfants, le
ménage, travailler et en plus cuisiner.
Donc, il y a des jours où elles n'y arrivent pas.
J'aime mon quartier.
J'ai les commerces à proximité, les autobus,
mais aussi des médecins.
Il m'arrive d'avoir envie de demander aux
harédims: "Avez-vous lu 'Isaac Bashevis Singer?"
"Vous êtes-vous reconnu dans le livre de
Yehoshua Bar-Yosef "Ville Magique"?
Dans "Ville Magique", l'écrivain parle
de Safed. Cette ville où habitaient et
habitent encore des harédims.
Comment des gens habitués à recevoir de
l'argent de l'étranger, pour prier, ont
dû faire face à la Première Guerre
Mondiale, qui a interrompu les versements,
ainsi qu'à un tremblement de terre.
Comment réagit-on à cela quand on
voit que les premières victimes,
sont les enfants?
Un très bon roman, qui à ma
connaissance, n'a pas été traduit en français.
On peut le trouver en hébreu (Magic City).