J'ai un mal de crâne pas possible, ceci étant probablement dû au fait d'avoir reçu une balle de rugby dans le visage aujourd'hui.
La turquie se réveillera demain matin, tout comme moi, avec un oeil au beurre noir. Comme vous avez pu le lire autre part, les jours qui viennent de passer durent d'une violence inouïe, à Ankara comme à Istanbul, la police ne faisant pas de quartiers, appliquant systématiquement la loi passée il y'a peu, ou les regroupements de plus de 4 personnes peuvent être considérés comme dangereux.
Les arrestations furent nombreuses aujourd'hui, les réseaux sociaux me disent que nous dépassons la centaine, sur quelques milliers de manifestants (à Ankara). Les policiers semblent avoir reçu des instructions claires et nettes, de faire montre d'une violence systématique. Les blessés sont nombreux, et je me demande comment est-ce que les médecins de garde se débrouillent. On m'a dit que pour brouiller les pistes, les médecins ne mettent pas "alteraction avec la police" sur la fiche d'entrée, mais accident, ou chute d'escalier.
Mes impressions ? mes impressions... Il y'a 9 mois j'étais en Turquie le jour du déclenchement de Gezi, et pendant toute la durée. Mes folles aventures ( http://blogs.mediapart.fr/blog/nicolas-leistenschneider/030613/la-trouille-de-mavie-part-1 ) me laissèrent plusieurs impressions.
Tout d'abord, à l'époque de Gezi, j'ai eu une trouille énorme. Je n'avais jamais vécu ça, une ville en état de siège, la police se déplaçant la nuit en gros groupe, les rues vides et les gens terrorisés. Mais la trouille de gezi était équilibrée par combien le mouvement était beau, dynamique, et plein d'énergie et d'humour. Par sa mixité aussi.
Je me rappelle par exemple, du fameux POMA, un bulldozer volé par les manifestants à Istanboul. Je me rappelle aussi, des nombreuses affiches en tout genre, en particulier du pingouin, qui reste pour beaucoup, le symbole de cette époque là http://radorecdn.bobiler.org/upload/photographs/30755689228.jpg. Ankara, si loin d'Istanbul, était réputée vivre une époque plus violente que Istanbul elle-même, bien que plus réduit en nombres, les manifestants étaient plus violents plus décidés, et beaucoup s'imaginaient que la raison principale en était l'omniprésence des étudiants de METU/ODTU dans la foule d'Ankara.
Enfin, cette époque pour moi, bien que triste à beaucoup d'égard, me laisse un sourire aux lèvres, pour son humour ainsi que pour beaucoup de choses que j'ai souligné au-dessus. Rien de tout cela aujourd'hui. Ou hier.
Rien de tout cela. L'ambiance est noire à Ankara, l'ambiance fut grise l'espace d'un instant mais très vite elle s'est rendue compte que tout partait en couilles et donc en même temps que le ciel, elle a fait sa dépression et a pris le poids conséquent nous donnant sa lourdeur actuelle.
Dans les foules de manifestants, plus de positivité, mais une tristesse profonde. Pour la mort de Berkin Elvan comme pour l'impression que au fond, le gouvernement s'en contrefout complètement. Une tristesse mêlée à une peur terrible, car la police, comme mentionnée plus haut, ne fait vraiment plus de quartier. Elle était prête depuis des mois à d'éventuels affrontements, elle était installée dans des endroits qui jusque là était ouvert au public. Le gouvernement préparait le coup depuis des mois, et là, ils ont lâché la bride. Plus de contrôle. Exemple de violence policière ; http://instagram.com/p/ldU7dyCZi4/
Forcément, je doute du bon état de santé du monsieur touché dans cette vidéo. D'ailleurs cette nuit aura réclamé sa part de noirceur, il y'aurait deux morts ( ainsi que plusieurs blessés graves); un jeune tabassé lors d'une rixe ( selon les versions toujours), et un policier, mort, selon les versions, à cause d'un cocktail molotov ou d'une crise cardiaque dûe à un excès de gaz lacrymo.
Concernant le jeune tabassé, dés maintenant, deux narrations sont apparues sur les réseaux sociaux et dans les médias. D'un côté, les médias pro-gouvernement ont commencé à déclarer que le jeune a été tué par des manifestants , alors que quelqu'un semblant être un de ses amis déclare le contraire pic.twitter.com/wknLV0bNFh . L'éternel tourbillon du combat pour la domination de la narration, de l'histoire. Elle sera écrite par les vainqueurs, nous verrons bien qui ils seront.
Un dernier coup d'oeil jeté à mes réseaux sociaux me dit que d'une , le policier mort "le mérite", d'autres appellent à ce que l'on explique à sa famille que ce n'est pas la faute des manifestants, mais du gouvernement. La violence augmente, et je pense, empirera dans les jours à venir ( https://www.youtube.com/watch?v=Uq_JELQa3L8&feature=youtu.be ).
La seule conclusion à laquelle je puisse arriver est celle d'une dame qui, plus tôt dans la journée s'est exprimée de façon claire; " Yeter Yeter Yeter". Assez. Assez Assez.