Certains auraient pu être tenté de répondre, Marine Le Pen, dans un excès de nombrilisme qui coûtera cher quand l'heure de voter en France arrivera, inévitablement. Mais si l'on reste encore attentif aux suite de l'élection du candidat Trump, force est de constater que plus encore que celui-ci, c'est Pence, son désormais vice-président et en charge de la composition de son futur cabinet à la Maison Blanche, qui va peupler les cauchemars d'une Amérique privée de démocratie directe. Bref rappel des faits, avant de rentrer dans les détails.
En descendant dans la station du métro à la 125ème rue et Malcom X avenue ce soir d'élection, je ne leur ai tout d'abord pas prêté attention. Mais marche après marche, je discerne mieux leur conversation alors qu'ils sont appuyés à la rambarde. "Il va falloir que les républicains l'aient à l'œil, tu vois". "Oui, acquiesce l'autre, c'est la seule solution, qu'ils le tiennent bien sous contrôle". Pour ces deux hommes sans doute membres d'une minorité, afro-américaine ou hispanique qui habitent Harlem, l'affaire semble entendue alors qu'il n'est que 21h: Trump va gagner les élections. Arrivée à Time Square, où l'exposition des résultats dispose d'un écrin théâtral, la foule est bien moindre que lors des deux élections d'Obama et elle est aussi inquiète que silencieuse. Pas d'éclats ni de cris ne résonnent entre les tours qui ceinturent la place et lui offrent les parois vertigineuses sur lesquelles s'affichent les scores à mesure qu'ils sont connus. L'avance de Trump est confirmée sur les écrans et est désormais accueillie par une incrédulité qui réduit au silence une foule qui restera pourtant jusqu'à minuit dans l'espoir d'un retournement. Hormis un bref répit d'une vingtaine de minutes, lorsque Hillary dépassera Trump dans le décompte des grands électeurs, accueilli par une brève ovation, le cours inexorable vers la défaite ne sera plus arrêté.
Mais après le réveil de plomb que vivent les New-Yorkais et les citadins, ainsi opposés aux ruraux et aux laissés-pour-compte du système que Trump a convaincu qu'il les a compris, reste à décrypter l'équation qui l'a fait gagner et lui promet quatre ans de parfaite félicité. Car quoi qu'il ait pu dire durant une campagne de tous les excès, quelles qu'aient été les outrances auxquelles il s'est prêté et qui ont payé, le meilleur pour lui est à venir: régner à la Maison Blanche sans avoir à tenir ses promesses, intenables, et sans avoir à vraiment gouverner. Les deux habitants de Harlem l'ont bien compris: comme il est celui par qui la victoire des républicains est advenue, ils lui doivent tout, surtout de pouvoir enfin de nouveau gouverner sans entrave. Mais ils devront aussi l'avoir à l'oeil pour une autre raison: parce qu'au fond, il s'agit d'une alliance de circonstance pour un homme qui a été tout et son contraire, même démocrate, qui a tout professé et n'a pas hésité à se renier pourvu que cela le propulse là où il n'aurait pas dû se trouver, pensent les foules qui manifestent contre lui depuis lors. Somme toute, Trump c'est une franchise, un nom qu'il a compris pouvoir faire fructifier, qu'il serve à vendre des tours d'habitation ou un parti en manque de pouvoir, tout est affaire de marketing et de maîtrise des coûts. C'est sans doute là que le bât blesse: et s'il s'avérait que le coût politique du retour à la Maison Blanche des républicains soit exorbitant et plombe leur parti durablement: c'est ce que semblent craindre ses membres les plus raisonnables. Les protestations enflent de part le pays et leur donnent raison.
Aussi, les protestataires et les déçus, comme une part de celles et ceux qui l'ont élu pourraient bien avoir des raisons supplémentaires de se faire du souci, maintenant que Pence est à la manœuvre. Car si l'un est versatile, pratique sans complexe le discours raciste, sexiste et fascisant trempé dans un verbe nauséeux, l'autre n'a pas besoin d'avoir le verbe haut pour être fasciste, rivé à des convictions inébranlables et des positions alarmantes tant sur les questions d'avortement, de mariage pour tous, d'économie que de valeurs à défendre. Pour ce gouverneur re-born Christian parfaitement encastré dans le système de Washington que Trump avait promis de pulvérisé, gouverner le peuple américain est une mission sacrée qu'il entend conduire sans se laisser distraire, intimider ou amadouer par son président élu. Et il le fera en connaissant parfaitement les rouages de la machine Washington qu'il saura mettre au service d'une équipe aux ordres. Et il a désormais les coudés franches pour le faire depuis que Chris Christie, en charge de la future équipe présidentielle pendant deux brefs jours, s'est laissé embourber dans un scandale ridicule et pathétique comme seuls des élites hors-sol peuvent en fomenter. Et ce n'est pas la nomination d'un chef de cabinet pur produit de la caste des républicains dans la capitale fédérale, Priebus, qui contredira cette tendance.
La situation est donc si grave, si tellement plus grave que la seule "trumperie" qui accable la majorité des électeurs spoliée de son vote, que les alternatives semblent réduites à néant. Ainsi, à peine caressé l'espoir de l'impeachment d'un futur président menteur, agresseur sexuel et fraudeur fiscal qu'il faut déchanter: si cette procédure aboutissait elle mettrait ledit Pence au sommet de l'état et lui offrirait encore plus de pouvoir qu'il n'en aura déjà. Autre hypothèse surgie à l'esprit des spectateurs écœurés par une campagne dominée par la junk food et les excès nutritionnels du candidat septuagénaire: un arrêt cardiaque fatal. Même cause, neutralisation du président, même effet: Pence règne en maître sur la Maison Blanche et le Congrès. Alors qu'il est déjà probable que ce scénario se concrétise, il semble désormais imprudent pour les plus avisés de ses adversaires de nourrir l'espoir que le président soit destitué, qu'il meure d'une brusque maladie ou même qu'il soit assassiné, pensée qui a effleuré celles et ceux qui n'oublient pas que la violence des armes résonne au plus près du pouvoir états-unien.
Reste donc à espérer que la prochaine First Lady, mannequin muet depuis qu'elle a été ridiculisée pour plagiat, à peine sortie des bagages du Trump, ne va pas se venger de son insignifiante transparence en saccageant le potager si judicieusement cultivé pendant huit années dans les jardins de Maison Blanche à l'initiative de Michelle Obama. Mais qu'elle en nourrira plutôt copieusement son mari vorace pour qu'il reste bien vivant pendant les quatre années de son mandat.
Voilà sans doute la plus terrible ironie de ces lendemains d'élection saturés d'amertume: faisant culminer dans la victoire le subterfuge que n'aura pas cessé d'être sa candidature puis son élection, voilà qu'il arrivera à convaincre même ses plus fervents opposants qu'il est un bouclier préférable à la menace tangible que constitue son vice-président s'il venait à le remplacer en cas de fâcheuse désactivation. La ruse dont il a fait preuve en le choisissant prouve que derrière l'image d'enfant gâté, compulsif et gueulard qu'il a offerte à un électorat en quête de vengeance après huit années de présidence Obama, il a compris qu'il pouvait compter sur le fait qu'il y a encore plus à craindre de Pence livré à lui-même qu'au tandem qu'ils forment pour le pire. You hate me, now you're gonna love me.
Une leçon à tirer pour la France de ce désastre électoral états-unien? Que l'outrance paie et qu'elle distrait de l'essentiel, que les déclarations tonitruantes ne doivent pas paralyser la capacité à déjouer les pièges qu'elles dissimulent, et que les partisans du pire trouveront à se rétribuer bien plus encore si l'on ne prend pas garde aux stratégies à double fond qu'ils fomentent pendant que l'on se bouchent les oreilles et qu'on se voile les yeux devant tant d'infamie. Il va falloir garder les sens aiguisés et la pensée acérée face aux périls qui s'annoncent de ce côté-ci de l'Atlantique, pour savoir faire preuve de vigilance et, si le moment l'exige, faire défection, voire sécession.
A suivre...