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Billet de blog 25 août 2013

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HCI: fin de partie

En y repensant, les circonstances de la création du Haut Conseil à l’Intégration demeurent une aberration, une sorte d’erreur d’aiguillage qu’il faudra bien un jour corriger, tant nous savons combien ce peut être fatal. Le plus tôt serait le mieux. S’il existe quelque esprit éclairé et audacieux détenant un pouvoir de décision, qu’il ou elle s’attelle à limiter les dégâts et clore la liste des dommages directs et collatéraux qu’ont engendrés depuis plus de deux décennies cette prose nuisible et ces déclaration toxiques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En y repensant, les circonstances de la création du Haut Conseil à l’Intégration demeurent une aberration, une sorte d’erreur d’aiguillage qu’il faudra bien un jour corriger, tant nous savons combien ce peut être fatal. Le plus tôt serait le mieux. S’il existe quelque esprit éclairé et audacieux détenant un pouvoir de décision, qu’il ou elle s’attelle à limiter les dégâts et clore la liste des dommages directs et collatéraux qu’ont engendrés depuis plus de deux décennies cette prose nuisible et ces déclaration toxiques. Et le rattachement à Matignon de cette instance ne la sauve pas de son illégitimité. Qu’enfin nous puissions sortir de la nuit coloniale qui, contre le sens de l’histoire, persiste à s’étendre sur nous, tous et toutes.

Réaction & compromissions

Car le HCI est bien l’instrument visant à prolonger la colonie par d’autres moyens, une fois ceux du système colonial et de l’ordre politique qui le soutenait déclarés abolis au tournant des années 60. Il est l’instrument de justification d’inégalités et d’oppressions que dans le même temps le droit commun entend combattre. Sauf que leur public diffère. Car, bafouant la règle commune, ce « haut conseil » est le lieu de l’exception, de sa fabrication, de la désignation de son objet et de sa pérennisation. Fabriquer l’exception par des avis ou des propositions de loi aussi réactionnaires qu’idéologiques. En désigner son objet : les immigrés et leurs enfants, ces nouveaux français d’ascendance migrante et coloniale qu’il faut maintenir dans l’illégitimité. Pérenniser l’exception d’un second collège, subalterne et sans pouvoir, pourtant censé avoir disparu avec les indépendances. Autant de procédures à l’usage de démocrates inconséquents qui veulent se convaincre qu’ils sont bien entrés dans l’ère décoloniale en décernant avec condescendance ici et là des brevets d’intégration à des candidats dociles. Chacun de ses membres, passés et présents, tout drapé qu’il se prétend dans son sens de l’État et de l’intérêt général et animé par un indéfectible amour de la République, ce qui devrait en soi nous alarmer, entretient accessoirement des convictions périmées et défend centralement des intérêts particuliers. Ceux du cercle restreint auquel il appartient et qu’il a rejoint par des jeux d’influence, d’allégeance et de compromission. En retour, ce petit cercle fournit à chacun d’entre elles et eux un sauf-conduit, une charge honorifique ou onéreuse, un titre qui brille au firmament de la nation. En échange de quoi ils affutent des arguments fallacieux qu’ils jettent en pâture aux médias et aux entrepreneurs de morale en mal de croisade et de campagne d’assainissement. La pacification, encore et toujours ?

Ce petit monde, où tout le monde connaît tout le monde, est peuplé d’alliés objectifs, partisans d’un statut quo dont ils tirent des profits symboliques et des prébendes, des avantages personnels, des nominations, intronisations comme au bon vieux temps… des colonies, revisité par l’esprit de cour monarchique assaisonné au goût républicain.

Monstre

Loin d’être la bonne nouvelle résultant de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, dont rien ne porte à « fêter » les trente ans, la commission Marceau Long a accouché d’un monstre. Les conclusions alors rendues ont fourni les arguments de la création de ce conseil, un de plus. Que ce soit Michel Rocard, alors premier ministre, qui les entérine, alors qu’il a été le rédacteur d’un rapport implacable et décisif sur les camps de regroupement dans l’Algérie encore française, ajoute au doute d'une quelconque conscience que la décolonisation était encore un objectif à atteindre et non pas une parenthèse close. Dans ce climat politique machiavélien, l’oubli est de mise.

Pour des raisons autres que géographiques, la commission Marceau Long est aux antipodes de ce que sera quelques années plus tard Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Toutes les commissions ne se ressemblent pas, pourtant celle qui auditionne en 1987 en France annonce ses avatars qui, sur le même thème, ponctuent depuis la vie politique française et pourvoient à l’inflation législative prohibitionniste. Sans surprise, Long sera le premier président du HCI installé en 1989 et siègera dans la commission Stasi en 2003.

Éponger les dettes

Ces conclusions ont aussi contribué à éponger les dettes pour que les affaires continuent. Les dettes d’un régime qui a délibérément oublié les exactions commises durant l’empire contre les indigènes qu’il administrait puis l’oppression des immigrés venus de ses anciennes colonies. En reprenant en main ces citoyens de seconde zone, ressortissants de contrées riches de leur sous-sol et devenues indépendantes, le HCI contribue, à sa mesure, à l’étape après l’accaparement : l’accès réservé et très avantageux au pétrole, au gaz et à l’uranium.

Éponger les dettes aussi, en proposant un dispositif d’accès à la nationalité au rabais dont des travaux fouillés montrent que les conditions d’attribution et les modes d’éviction se perpétuent sans rencontrer obstacle administratif ou inconfort politique. Éponger les dettes encore en prétendant que seuls lesdits immigrés sont responsables et comptables de leur intégration, les vouant à un échec inéluctable. Ériger au passage ce terme d’intégration en nouveau graal, alors qu’il est tout droit sorti de la propagande inventée durant la guerre d’Algérie par un Soustelle aux ordres, pour venir à bout d’une lutte d’indépendance déjà hors de portée. Éponger à tout prix, comme s’il fallait sauver la nation de sa dilution dans un multiculturalisme, ce mal supposé, hérité des mélanges initiés en colonie, et son double, le communautarisme, opportunément installé dans notre paysage national pour être le nouvel ennemi intérieur.

Ironie de ce régime colonial qui feint l’amnésie, un subterfuge, véritable trait de génie, sert encore ces fins indignes : éponger en reportant la dette sur les anciens opprimés. En faire les débiteurs inamendables et éternels de la France, en pointant d’innombrables inaptitudes et tares, renouvelables à la demande, dès qu’ils osent mettre le pied sur le sol de l’ancienne métropole. Pendant que ces censeurs laborieux et tatillons s’agitent à faire la guerre à des ombres, la France change, avance, s’est déjà transformée, opérant une métamorphose remarquable, sans traverser les affres et les souffrances que les nostalgiques d’une France blanche éternelle croient voir à chaque instant et invoquent à tout propos.

Leurres

Ne serait-il pas temps de mettre un terme à la série des leurres lancés pour faire diversion face aux enjeux toujours différés d’une pleine égalité qui ne doit rien à la chance ? Des circonstances troubles de la fondation de SOS racisme, prélevée sur le cadavre encore chaud des Marches de 83 et de 84, à la capacité de nuisance du HCI que rien ne vient démentir, en passant par la défunte et digérée Halde et la CNHI (Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration), dans son périmètre et sous sa direction actuels, il est temps de procéder à un méticuleux inventaire. Qu’on ait jugé préférable de dissoudre la CNDS (commission nationale de déontologie de la sécurité), dont les travaux continuent de faire autorité, au lieu de mettre un coup d’arrêt aux délires parsemant les rapports annuels du HCI en dit long sur l’absence de clairvoyance, à moins qu’il ne s’agisse d’un aveuglement volontaire, des donneurs d’ordre qui tiennent les rennes aujourd’hui en France. Voilà les termes d’une duperie qu’il serait salutaire de soupeser pour la clore.

Bras mort

En ces temps d’économie budgétaire, voici un bras mort, tout juste bon à pointer vers des impasses politiques, qu’il est urgent de couper. Ne serait-ce que pour rassurer des contribuables qui, comme moi, refusent que l’impôt serve à entretenir des instances nuisibles, tant leur fanatisme intégrationniste et leur intégrisme républicain ne peuvent rien produire de viable dans notre société plurielle et pluraliste. Entendant bien s’engager résolument dans la voie d’un équilibre négocié entre tous ses membres, cette société-ci n’a que faire des sentences et lettres de cachet qu’édictent les membres du HCI, désignant à tour de main des menaces qui n’en sont pas et détournant ainsi l’attention vers des problèmes qu’ils contribuent à créer de toute pièce. Focalisés, si ce n’est objets d’une fixation quasi obsessionnelle sur l’islam et ses diverses incarnations depuis plus d’une décennie, leurs propos relèvent d’un examen psychopathologique pour mettre à jour un affolement identitaire qui parasite le champ politique.

Malveillance

En la matière, il serait temps de cesser d’ajouter la malveillance à la mauvaise foi. Après avoir prohibé l’accès à l’enseignement public d’adolescentes voilées ainsi privées de leur droit à une éducation gratuite parmi leurs pairs ; puis dans la foulée prétendu que la santé ne souffre aucune limitation religieuse, entendez islamiste, qui empêcherait une femme de voir un médecin, alors que tous les jours, qu’elles portent un voile ou pas, des femmes se voient poser la question du choix du sexe du praticien qu’elles souhaitent voir, quand ce choix s’impose et est possible ; puis contribué à propager la suspicion sur les mères voilées, au prétexte qu’elles seraient nuisibles à la réussite de leurs enfants et à la bonne conduite des activités scolaires si elles s’approchent trop d’une école, voire pire, s’y impliquent; et profité de l’aubaine pour réclamer, au passage, la suppression des repas sans porc que des générations d’élèves ont mangé sans que cela en fasse des islamistes en puissance ; et pris prétexte de ces craintes-là, jamais vérifiées, pour promouvoir une loi qui professe l’obligation de vivre la république à visage découvert pour une seule catégorie de la population, les femmes en burqa, ce voile intraduisible ; mais aussi, comme si cela ne suffisait pas, accrédité l’idée, imbécile, qu’une femme voilée ne peut s’occuper de tout-petits en collectivité et chez elle, car son accoutrement pourrait perturber leur croissance et leur épanouissement et son attitude verser sans qu’elle y prenne garde, ou pire, délibérément, dans le prosélytisme, pendant que d’autres femmes voilées peuvent, mais jusqu’à quand, prendre soin de nos vieux et garder les enfants des couples égalitaires qui en ont les moyens ; voilà que des inquisitrices, supplées par des hommes se prétendant éternels antisexistes, ont décidé de nettoyer un peu plus notre champ visuel en préconisant de supprimer toute trace d’un voile à l’université, notre fleuron national sous perfusion. Il est vrai que le seul problème que connaisse notre système d’enseignement supérieur est la présence d’étudiantes voilées. Nul sexisme, nul racisme, nulle démagogie en la matière, cela va sans dire. Juste un souci, que l’on ne peut que louer, de la réussite de tous et toutes et de la tranquillité dans les salles de cours et d’examen.

Visibilité contrainte

Intervenue plus tôt, une décision politique aurait évité que soit commis ce nouvel avis. Depuis la cérémonie du dévoilement de musulmanes à Alger le 13 mai 1958 orchestré par des femmes de généraux tortionnaires et futurs putschistes, et au fil de ses trop nombreuses réitérations depuis 1989, il semble que ce rituel présenté comme salvateur continue de fasciner et de susciter une intense ferveur. Après les lois prohibitionnistes de 2004 et de 2010, il est question d'étendre le champ de la transparence et de la visibilité contrainte toujours plus loin. Il serait temps de refroidir ces ardeurs toxiques. Voilà qu’au terme de conciliabules inutilement alarmistes, prévaut le prétexte de sauver une liberté d’enseigner et de débattre en cours qui serait menacée par des étudiantes voilées à la tête mal faite. Est-ce à dire que les autres étudiant-e-s réserveraient toujours un accueil intelligent et mesuré à tout énoncé ? À moins que l’absence de réaction, la prudence ou l’indifférence soient préférables à la discussion, fut-elle vive. Or, à supposer que l’on puisse établir, et nous en sommes très loin, la persistance de telles difficultés à faire cours, rien ne justifie la seule sanction d’étudiantes voilées. 

Acharnement

Enseignant depuis plus de dix ans dans cette institution censée n’être pas, encore, sélective, je m’interroge sur les motifs d’un tel acharnement. S’agit-il d’introduire une forme déguisée de sélection, non plus pécuniaire, mais identitaire ? Auquel cas, les mobiles d’une telle stratégie m’échappent, sauf à prouver que le voile rend bête et que celles qui le portent ne peuvent pas accomplir avec succès des études. Dans mes cours ou durant mes supervisions de travaux, aucune étudiante voilée n’existe par son voile. Certes, elles interagissent avec leur voile, puisqu’il est bien là, enveloppant leur tête, mais en aucune manière, elles n’en font un vecteur de leur pensée et de leur production universitaire. Elles sont là et participent, parfois brillamment, et ne font rien de leur couvre-chef. Ce qui, en tant qu’enseignante-chercheure m’intéresse au premier chef, et pour tout dire, m’intéresse tout court. S’il arrive que certaines en fassent état dans leurs travaux, c’est à la faveur d’une réflexivité, d’un travail sur soi, que l’on rencontre trop rarement à l’université et qui les honore. Voici qui étonnera sans doute celles et ceux qui persistent à penser qu’elles sont les ventriloques d’une puissante oppression à laquelle elles se soumettent par le truchement, magique ?, occulte ?, de cet accessoire.

Fin de partie

La liste des personnes qui se sont vues attaquées dans leur dignité et lésées dans leurs droits est bien trop longue pour qu’on se dispense de l’examiner et ainsi clore un jeu de massacre qui n’a que trop duré. Et qu’enfin nous puissions nous atteler aux défis d’une éducation dont la qualité ne dépend en rien du vestiaire de ses protagonistes.

Devenu depuis trop longtemps une partie du problème et non de la solution, le HCI trahit son incapacité intrinsèque à conseiller avec sagacité et à propos un gouvernement qui ferait bien de se souvenir des engagements qu’il a pris auprès de ses électeurs et électrices. La fin des survivances de la colonie, dont le HCI fait partie, c’est maintenant. La fin des réminiscences du discours colonial, distillé jusqu’à la nausée entre autres par les idéologues du HCI, c’est maintenant. Prenez les décisions qui s’imposent pour mettre fin à ce scandale et vaquons ensemble aux occupations vitales dont nous sommes encore trop souvent distraits.

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