"Voilà qu’un jour de février 2019, une amie d’enfance m’écrit pour me dire ce qui se passe chez nous. Je suis déconnectée de tout. Et oui, nous sommes exilées !
En France depuis la fin des années 90. Meurtries par la décennie noire. Trop de douleurs, d’horreur, de morts ... Insupportable ! On est parti le cœur meurtri et la conscience lourde car incapable de changer la situation. La culpabilité, la souffrance, la peur des mafieux et des intégristes avaient eu raison de nous malgré notre rage et notre volonté de les vaincre. Mais en vain ! En vain jusqu’à ce mois de février 2019 ! Au début du hirak, nous avions peur que les scénarios de 1980 à 2010 soient notre lot. Nous avions peur d’autant plus que nous étions loin et qu’il était impensable d’encourager nos sœurs et frères d’aller droit dans la gueule de ces tortionnaires dont on connaît les méthodes sans limites ni pitié.
Alors on va à place de la République, le cœur plein d’espoir mais aussi de peur. On y va car on veut y croire. On veut réussir. On veut prendre la température de ce hirak qui a un parfum d’espoir différent de nos révolutions passées. On est 8000 puis 10000 à Paris. « Dimancher » devient un rendez-vous si fort, si important, si vital si viscéral. Epuisé.e.s ou malades, on y est. Car on espère. On veut y croire.
Au pays, les gens « vendredissent ». Bouteflika part. Le peuple pense avoir gagné. Il sort crier sa joie. Panique ! Ouf je respire quand je constate que le peuple est mature.
Arrivent les heures des trolls sur les réseaux. Ils tentent de nous diviser. On résiste. On ne tombe pas. Fini ! On n’est plus dupes. Le souffle du hirak grandit. On y croit. Le peuple ne reculera plus jamais Ma crainte est que l’on se fasse avoir. Si on se rate cette fois, les mafieux se vengeront pendant 200 ans et non 20 ans. Mon urgence s’accentue : faut que je rentre au pays après 20 ans d’absence. L’urgence de « vendredir » devient vitale ; « vendredir » pour ne pas mourir. Mais l’urgence parallèle est de savoir que faire pour que nos marches et de nos rassemblements ? Dégager les mafieux à leurs racines sans exception ! Une constituante. Oui, mais comment et avec qui ? Se pose aussi la question de la nature humaine bien connue depuis la nuit des temps : celle du pouvoir qui pervertit y compris les militants les plus dès qu’ils arrivent au pouvoir
Alors pédagogie sur les réseaux devient mon quotidien, nuit et jour, dans le métro; la nuit, plus de sommeil ! J’écris. J’écris. J’irai « dimancher ». J’ai mal mal mal. Je sais qu’aucune révolution n’a jamais aboutie sans casse. Je sais que nos mafieux sont des plus coriaces. Je les sais sans limites ni pitié. Je sais que notre pays est géo-politiquement central. Que les vautours mondiaux ne laisseront pas faire. On est cerné mais on est des millions, déterminés. Resterons-nous si nombreux jusqu'à la victoire ? Tiendrons-nous le cap aussi longtemps qu’il le faudra ? Résisterons-nous à toutes les ruses voire attaques des mafieux ? Et si les mafieux en arrivaient aux armes !? Tiendrons-nous ?! Si oui comment ?!
Le 20/4/2019 date de notre printemps noir Kabyle me rappelle les risques ... Inquiète, entre joie d’être ensemble à Place de la République et d’assister en live au pays, se mêlent à la peur ! Oui bordel de merde, la peur ; toujours là en fond de toile. ! Pourtant je suis un lion, prête à mourir pour mon pays. Je vais aller « vendredir » mais je ne cache pas ne pas être sûre d’en revenir. Car qui me dit que lorsque j’y serai, nos mafieux auront cessé de nous laisser marcher en paix ; pacifiques ! Si si désolée ; je ne suis pas d’accord avec ceux qui veulent omettre de penser à toutes les éventualités. Je ne souhaite que le meilleur et j’y crois ; mais pas de leurres non plus ! Bon allez soyons optimistes et téméraires : on y va, plus le choix, et on verra bien !
Rendez-vous à la Victoire !"
Marie-Claire Djaballah
Enseignante-Chercheure, Sciences Po paris, ENPC et URCA