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Un roman, étrange, qu’on soupçonne d’être une version de l’histoire de l’Algérie d’aujourd’hui. L’intrigue est placée en l’an 1602. Avant la colonisation. Aucun risque de confusion avec la conquête coloniale. Bon débarras ! Il règne sur le pays, dénommé Bent’ Joy, une famille royale quelconque, dont le titulaire vient de mourir brusquement, d’une chute de cheval. Le Prince lui succède. Les habitants découvrent, au même moment, sur la plage un homme, Sidi Akadoum, et son chameau, endormis. Ils viennent du Sud. Il est clair qu’on est entre algériens.
Le Prince, à son tour, qui avait fait de cet inconnu, Sidi Akadoum, son homme de confiance, tomba de cheval et heurta un gros rocher. Une semaine avant sa fin tragique, la Prince fit une confidence à Akadoum : un jour , le fils étranglera sa mère et son père, le père incitera sa fille à la débauche, Tel est le futur de son royaume. « C’est prédit . C’est écrit. »
A peine évincé du trône, le prince est remplacé par son fils, qui méprisait le peuple, vouait une haine féroce à Sidi Akadoum, jusqu’au jour où il tomba du haut de la montagne sacrée.
Il s’en suivit une période où les femmes s’emparant de leur vies, connurent un instant de liberté, les hommes furent dépossédés de leur pouvoir, de leur honneur et de leur dignité, jusqu’à ce que les soldats de la foi et de la moralité redoublant de férocité, incrustent la peur dans les cœurs et prennent le pouvoir en asservissant les femmes.
Alors, débute le règne de Sidi Akadoum : celui-ci endosse la fonction de guide spirituel. « Un ordre moralisateur et sermonneur » remplace la souveraineté royale, transformant les cœurs en tombes et les privant de leur raison .
Ainsi va le règne de Sidi Akadoum, enjôleur, fédérateur et négociateur hors pair, avec le don d’ériger ponts et passerelles entre les êtres, excellant dans l’art de la rhétorique, sa parole est belle, solennelle et émouvante, «elle agit sur les sensibilités fragiles », « sa voix parle aux sensibilités, » il envoûte, ensorcèle, promettant mille bonheurs.
C’est le ton même sur lequel l’auteur écrit son livre qui est la marque de cette oeuvre singulière. C’est un ton singulier d’un bout à l’autre de ce bref roman (144 pages) insufflé d’une volonté de stigmatiser et dénoncer avec douceur et violence à la fois, de gonfler jusqu’à l’enflure et la caricature les qualités ou les défauts des uns et des autres, de mettre en évidence la volonté de Déraison au cœur des raisonnements, de porter jusqu’à l’extrême sa folie, d’asservir ses amis et de détruire ses adversaires par la veulerie ou l’inconsistance des propos, de les ensevelir sous le poids de leurs contradictions et leurs mensonges.
Pas étonnant que le dernier chapitre vienne délivrer le lecteur d’un sentiment d’être pris dans un orage violent et doux qui l’entraine malgré lui là où il ne veut pas aller, à goûter la beauté d’un langage qu’il pressent destiné à lui répugner, d’être enfermé dans une contradiction vivante, qui l’envoûte et le repousse tout à la fois.
Au fait, le narrateur ou la narratrice, à l‘ultime page du livre, est-elle ou il délivré du personnage de Sidi Akadoum et de ses contradictions, de celles de son pays, Bent’ Joy ? Est-il si sûr qu’il ou elle veuille en être libéré ? de ses folies et de ses déraisons ? de ses contradictions ? N’est-ce pas l’un des messages qu’il pressent lui être destiné ? n’y a-t-il pas comme un délice à dénoncer tout à la fois, à rejeter, à mépriser et à aimer O combien ! la dénonciation et ses ruses secrètes, ses jouissances ? à les pressentir ? Que dissimule le niveau de langage auquel le texte s’arrime avec constance et fidélité, sans l’ombre d’un doute ?
