
La mobilisation populaire ne semble pas faiblir à Béjaia et ailleurs. Comment le mouvement de contestation a-t-il évolué ces dernières semaines ?
Il faut rappeler que Béjaia et sa région n'ont pas attendu le 22 février pour exprimer leur rejet de ce système autocratique, corrompu négateur des libertés fondamentales, vertus cardinales de la démocratie. Depuis au moins 2014, au moment de la campagne du 4ème mandat de Bouteflika, cette région est devenue le sanctuaire de la contestation citoyenne. Ce n'est pas par hasard que c'est à partir de Kherrata (commune située à environ 60 kms de la ville de Béjaia, à l'est d'Alger, le 16 février qu'est parti l'étincelle qui a embrasé tout la pays le 22 février. Depuis, le mouvement ne cesse de s'amplifier. Ces dernières semaines, le mouvement à Béjaïa et dans tout le pays a gagné en maturité, dans son organisation, dans le choix des slogans et au niveau des propositions de sortie de crise. Raisons pour lesquelles la contestation a résisté à tous les coups de boutoirs du régime qui avait parié sur son essoufflement.

Comment expliquez-vous cette forte mobilisation inédite dans l’histoire de l’Algérie qui dure depuis plus de 6 mois ?
En effet, nous sommes en phase insurrectionnelle pré révolutionnaire, jamais connue depuis l'indépendance du pays. Le régime algérien issu du coup d'État de l'armée des frontières, a jusque là, survécu à toutes les tentatives de remise en cause de cette ordre inique qui a ruiné le pays. Les révoltes populaires qui avaient émaillé le long cheminement des luttes citoyennes, ont eu le mérite certes, de fissurer le monolithisme de la citadelle du régime, mais dans tous les cas, celui-ci a su se régénérer grâce notamment, à l'utilisation de la manne pétrolière et au recours à la répression. Aujourd'hui, l'accumulation des luttes citoyennes et le spectre que représentait l'humiliation de la perspective du 5ème mandat, ont été les éléments déclencheurs de la plus grande insurrection citoyenne post indépendance. Le caractère pacifique des manifestants, pratiquement inédit de par le monde, a surpris aussi bien le régime que l'opinion internationale. La pouvoir qui avait tablé comme à son habitude, sur la répression, s'est vu pris au piège par cette révolution du sourire. Une révolution de nature pacifique, mais résolument déterminée à faire aboutir ses revendications de départ sans concession du système avec son personnel, ses pratiques et ses symboles. Le mot d'ordre "Itnahaw GAA" (ils dégageront tous) étant devenu une exigence patriotique non négociable.
Comme il est loisible de le constater, en 6 mois de manifestations ininterrompues, la détermination et la mobilisation sont toujours là. Ni les arrestations et intimidations, ni le Ramadan où les chaleurs caniculaires sur lesquels misait le pouvoir, ne sont venus à bout de ce souffle révolutionnaire.

En matière d’alternatives, quels sont les projets politiques qui se dessinent dans la société civile bougiote ?
A instar de tout le pays, les propositions de sortie de crise à Béjaïa, recoupent pour l'essentiel, celles de tous les patriotes engagés dans cette œuvre commune de reconstruction d'une Algérie nouvelle. Une Algérie basée sur des fondements démocratiques et républicains, attaché aux valeurs universelles, où seront clairement définis, la nature du régime, la place de la religion, le statut de la femme, l'identité nationale, la justice sociale et la primauté du civil sur le militaire telle qu'énoncé dans la plate forme de la Soummam. De même qu'il s'agit d'envisager une refondation politico-administrative qui tienne compte des spécificités culturelles et géographiques de chaque région du pays, à l'instar de l'organisation politico-militaire qui avait permis l'indépendance du pays. En gros, sortir de l'État jacobin outrageusement centralisé et qui est à l'origine de l'impasse actuelle. Pour ce faire, nous préconisons une phase de transition, période à laquelle il sera procédé au démantèlement des instruments politico-mafieux de l'ancien régime et son remplacement par un nouveau dispositif institutionnel à travers un dispositif constituant, dont les mécanismes seront déterminés à l'occasion de la tenue d'une conférence de consensus nationale. Ce n'est qu'une fois ce socle mis en place, qu'il sera envisagé le retour au processus électoral.



