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Journaliste/ Ecrivaine / conceptrice et animatrice de rencontres-débats et d'émissions sur les réseaux sociaux : "AlternaCultures" et "l'Interview". En charge du Prix littéraire AFA

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Billet de blog 31 juillet 2025

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Albert Cossery, cet utopiste anarchiste qui retourne les esprits

L'écriture d'Albert Cossery met en perspective une philosophie et un "way of life" qui séduisent, déstabilisent, questionnent et viennent inévitablement bousculer les évidences et nos préjugés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Du Caire à Paris... 

 Né au Caire en 1913 dans une famille chrétienne, relativement aisée, Albert Cossery, romancier et nouvelliste francophone, a étudié dans des écoles françaises avant de s’installer à Paris, où il a vécu la majeure partie de sa vie, notamment à l’hôtel La Louisiane dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.  C’est dans cette chambre d’hôtel qu’il s’est éteint en 2008, à l'âge de 94 ans. Sa carrière littéraire comprend 9 ouvrages.

Lauréat en 1995 du grand prix Audibert pour l’ensemble de son œuvre, Albert Cossery nous entraîne dans un univers à la fois « misérable », « cruel, poussiéreux, poisseux », et pourtant profondément humain et tendre, celui des quartiers populaires d’El Kahira, Oum El Dounia (la mère du monde).  Un vaste espace qui ressemble à une « Cour des miracles » où l'auteur a côtoyé des êtres vivant dans le dénuement le plus total.

 Une écriture à la fonction maïeutique

 Son écriture propose une réflexion philosophique et un « art de vivre » qui séduisent et bousculent en même temps, incitant à revisiter les valeurs dominantes qui régissent notre monde et façonnent notre vision habituelle.  Elle invite à « dépoussiérer » le sens commun et à renouveler notre rapport à la réalité.

À travers ses romans, Cossery donne vie à des personnages fragiles, sensibles, courageux, fascinants, attachants et libres.  D'histoire en histoire, ces êtres se rencontrent, se reconnaissent, tissent des liens d'amitié autour de valeurs partagées et de la volonté de s'opposer à un monde où la quête du matériel est devenue un dogme.

Rafik (Les Fainéants de la vallée fertile), Samantar (Une ambition dans le désert), Haykal (La Violence et la dérision), Medhat (Un complot de saltimbanques), Gohar (Mendiants et orgueilleux), et d’autres personnages gravitent autour de ces héros.  Ils incarnent des marginaux, indépendants, libres de tout engagement conventionnel, persuadés que « faire un métier, n’importe lequel, est un esclavage ».  Non conformistes, autonomes, affranchis, ils sont dotés d'une liberté de pensée et d'une capacité à définir leurs propres valeurs et leur mode de vie, selon deux stratégies principales :

Illustration 2

Utilisation de l’oisiveté pour exprimer leur non-conformité

 La première stratégie est celle de la non-conformité par l’oisiveté, déclinée en paresse et sommeil.  Loin d’être une posture négative, cette « oisiveté pensante » est, chez Cossery, une condition essentielle à la réflexion et à la maturité.  Ainsi, Gohar, professeur de lettres et de philosophie, après avoir constaté la vacuité de son enseignement, renonce à ses statuts sociaux, économiques et culturels pour vivre comme un « mendiant » dans un quartier pauvre du Caire.  Il met parfois son talent d’écriture au service de Set Amina, pour composer des lettres destinées aux pensionnaires de son bordel.  Fasciné par ce lieu qu'il perçoit comme un espace où la vie s'exprime sans dégénérescence, il fait de l'oisiveté le symbole de sa liberté, choisissant une existence simple, sereine, authentique, débarrassée d'artifices.

Le sommeil, quant à lui, symbolise le retrait du monde.  Des personnages comme Galal, Rafik ou Hafez (Les Fainéants de la vallée fertile) valorisent le sommeil comme une « valeur suprême » : un refuge contre la fatigue, l'exploitation, la dégradation et l'aliénation.

 Utilisation de l'amusement et de la dérision pour exprimer leur non-conformité

 La deuxième stratégie repose sur la non-conformité par l’amusement et la dérision.  Samantar, Heykal, Medhat, Heymour, Imtaz vivent dans la joie, tournent en dérision le pouvoir oppressif et les structures dominantes. La dérision devient ainsi un outil pacifique de contestation et un vecteur de plaisir. Par exemple, ils ridiculisent l'autorité en rédigeant des tracts à la gloire ironique du gouverneur ou en projetant d'ériger une statue à son effigie.  Cette dérision est aussi une forme d’affirmation de soi et d’épanouissement personnel : rire de tout, se détacher du matérialisme, se distraire, être authentique et libre.  Samantar incarne « l'homme du moment présent et des plaisirs terrestres », un être ayant déjà mené sa propre révolution intérieure et jouissant de sa suprématie morale dans un monde d'esclaves.  Les personnages d’Albert Cossery, tels Heykal, Samantar, Rafik, Taher, Imtaz, Medhat, Gohar et Heymour, rient de la vie, savourent le présent, adoptent la dérision comme alternative à la violence. Ils ont tous choisi une existence marginale, débarrassée des chaînes du matérialisme, du conformisme et de l'aliénation.

Illustration 3

Des personnages qui nous invitent à l’émancipation

 Ces figures cossériennes ont accompli leur révolution personnelle et nous invitent à faire de même.  Chaque personnage, scène et dialogue sont autant d’appels à remettre en question notre existence, à reprendre le contrôle de notre histoire pour rompre avec la domination, l’hypocrisie et les faux-semblants.  Car, pour Cossery, « un grand livre vous donne une puissance extraordinaire.  Vous pouvez être pauvre, misérable, malade, désespéré, la lecture d'un grand chef-d'œuvre vous fait oublier tout ça. »

Alors, lisez et relisez Albert Cossery, et laissez-vous porter par la sagesse orientale qui jaillit de son univers, un appel constant et pressant à notre libération, à notre émancipation.

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