Dans certaines structures, un drôle de climat s’installe. Au départ, tout semble aller pour le mieux : un projet éducatif ambitieux, une équipe investie, des engagements portés haut et fort… Puis viennent les premières alertes, les premières questions posées. Et là, surprise : au lieu de dialogue, c’est le soupçon qui s’installe. Comme si dire "ça ne va pas" revenait à dire "je suis contre tout ce que vous êtes". Le désaccord devient soupçonnable, la critique une atteinte à l’institution.
On connaît ce mécanisme : le danger d'une confusion entre autorité et autoritarisme. Christophe Dejours a mis en lumière combien le silence face à la souffrance au travail est une construction sociale, souvent nourrie par la peur et la loyauté mal placée. Dans ces organisations, revendiquer c’est trahir. Défendre un droit, c’est nuire à l’image. Et le simple fait d’exiger un droit ou encore un emploi du temps humain devient suspect.
On assiste alors à une mise en scène permanente : d’un côté, des salariés décrits comme une “minorité" des "contestataires” qui dérangent l’harmonie ; de l’autre, une direction arc-boutée sur un récit héroïque de l’entreprise sauveuse. Ce n’est plus du management, c’est du storytelling. Il ne s’agit plus de comprendre ou de construire ensemble, mais de rétablir l’ordre.
Le plus ironique dans tout ça ? C’est que ces salarié.es n’ont jamais cessé d’aimer leur boulot. Ce qu’ils veulent, ce n’est pas "prendre le pouvoir", mais simplement pouvoir faire leur travail dans des conditions dignes. Avoir le temps de respirer entre deux classes, pouvoir répondre à un parent sans sauter un repas, ne pas se battre chaque mois pour comprendre leur fiche de paie.
Mais face à cette demande de reconnaissance, la réponse est souvent la même : silence, menace ou tract. Et quand l’action collective se renforce, on assiste à une crispation croissante du pouvoir. Des salariés fragilisés deviennent des boucs émissaires. Le syndicalisme est dépeint comme un frein. La solidarité devient subversive.
Alors oui, il faut continuer à se battre. Car comme le rappelait Albert Hirschman, dans toute organisation, il y a trois options : la sortie, la voix ou la loyauté. Quand la sortie est impossible, et que la loyauté est devenue une impasse, il ne reste que la voix. La faire entendre collectivement, c’est résister à cette dérive. Ce n’est pas être contre. C’est vouloir mieux. Et refuser de laisser le travail nous abîmer en silence.