Je n’ai plus honte de dire que j’ai ri et sauté de joie en voyant Sarkozy condamné et que j’ai levé mon verre à la mort de Jean-Marie Le Pen. Certains m’ont dit que c’était cruel. Je leur ai répondu que c’était une respiration. Schadenfreude. Une joie obscure de voir des intouchables enfin trébucher.
Sarkozy père. L’homme aux Rolex, aux discours moralisateurs et aux valises pleines. VRP de la guerre en Libye, VRP des affaires troubles, VRP de lui-même. Il parlait d’exemplarité sur tous les plateaux en s’entourant d’escrocs. Il promettait la République en distribuant des contrats empoisonnés. Je le croisais trop souvent ce jogging sous escorte, comme si la France entière était devenue son tapis roulant. Et puis, il y a l’autre jubilation : savoir que c’est ici, dans Mediapart, que la fin de Sarkozy s’est écrite. Pas grâce à l’opposition. Non. Grâce à une poignée de journalistes, tenaces et obstinés. Un petit groupe contre les colosses, dans leur petite salle de rédaction contre un empire. Le voir condamné ? C’est voir un mythe avaler sa propre queue. Un stylo contre une Rolex. Schadenfreude.
Et il nous restera Louis. Petit prince sans gloire mais avec micro. Héritier qu’on invite partout, un Sarko-bis qu’on continue à couronner de micros. Il débitera encore plus ses aphorismes de salle de sport avec l’assurance du philosophe antique. Ce Louis XVI en chemise cintrée, notre Caligula de plateau télé, Commode en podcast. On en a bouffé jusqu’à la nausée, mais il faut bien nourrir la bête. La République ne fabrique plus des hommes d’État, elle produit des Ken en plastique, façonnés par des communicants, de Bardella à Sarko : quelle concurrence.
Je me souviens du poste de télé allumé sur le 20 heures, de la voix de Le Pen qui cognait jusque dans nos assiettes, des regards baissés de mon père pour protéger nos oreilles. Ça passait. Ça s’infiltrait dans le tajine, ça s’installait dans la gorge. Puis y avait Chirac et son « bruit et ses odeurs ». On parlait de franc-parler, je n’entendais qu’humiliations.
Je me souviens de Sarkozy -encore lui - qui agitait son Kärcher et, dans la cour de récré, de ce mot devenu arme : « Vous, faudrait vous blanchir au Kärcher ». Ces rires giflaient plus fort qu’une insulte. Et dans un autre registre, un « Vous ne déméritez pas », autre claque, d’un prof cette fois-ci, déroulant ses préjugés sans rougir. Hollande n’a pas fait mieux avec sa « déchéance de nationalité » : Français à crédit. Et Macron bien sûr, avec ses « gens qui ne sont rien », il lui fallait lui aussi établir son constat technique.
Le Pen a fourni le lexique. Chirac, le « bruit et les odeurs ». Sarkozy, le Kärcher. Hollande, la « déchéance ». Macron, le « rien ».
Quand un continuum de présidents vous réduit à rien, le reste de la société se sent autorisé à vous traiter comme tel.
Le terrain est préparé par ces décennies de petites phrases, ces mots lâchés qui, redescendus, deviennent insultes de cour de récré. Et pendant que ça déborde en bas, sur les plateaux d’autres phrases circulent. J’ai entendu Yvan Attal dire des Palestiniens qu’« ils envient notre Shoah ». Même poison, costume différent. Aujourd’hui, j’entends les enfants dans mes classes invoquer Hitler comme on balance une blague. Ils rient sous cape en faisant des saluts nazis. Dans les couloirs, dans les cours de récré. Et un jour ça tue. Le drame secoue. Le rire est devenu meurtre.
Arendt le disait : la vengeance ne répare rien, mais la justice, même imparfaite, fissure la statue. Elle rouvre l’espace commun. Elle rappelle qu’aucun nom, aussi doré soit-il, n’est intouchable. Husserl complète : la Schadenfreude n’est pas un instinct primitif. C’est une expérience, un horizon qui s’ouvre. La preuve que le monde n’est pas condamné à l’immobilité.
Alors non, ce n’est pas de la haine. C’est du soulagement. C’est de l’air qui revient.
Alors oui, le prochain dont j’aimerais fêter la chute à la manière d’un Sarkozy, c’est Netanyahou. Cette figure absolue du cynisme, de sa brutalité maquillée en stratégie, de son impunité transformée en droit d’État. Sa défaite, quand elle viendra, ne sera pas qu’une nouvelle. Ce sera une délivrance, une danse.
Arendt parlait de commencement, de ce mot fragile mais pas naïf. Le commencement, ce n’est pas une morale, c’est une brèche. Une voix qui insiste, contre tout et parfois ça suffit. Ça suffit pour rappeler que les géants ne sont pas éternels. Ça suffit pour qu’on rit, qu’on savoure, qu’on jubile.
Je ne me cache plus. Je jubile. Je respire. Je danse. Je danse sur cette Schadenfreude.