Nadine Pestourie

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Billet de blog 17 avril 2009

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Puissance des rebuts

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La grand-mère de Michel Nedjar était chiffonnière aux Puces de Saint-Ouen, son père était tailleur. Il deviendra tailleur, lui aussi, dans des ateliers du Sentier, avant d'abandonner son métier pour parcourir le monde. Il y découvre les pouvoirs magiques des poupées qui exorcisent les peurs et déjouent les sorts. Devenu artiste, il fabrique des "poupées" toutes bizarres, à partir de petits bouts de riens : des "poupées Pourim", drôles de créatures de la transgression et du retournement, chargées de célébrer rien moins que la tristesse changée en joie et de possibles défis au destin.
Pourim ? C'est le nom d'une fête juive célébrée le 10 mars : vers l'an 480 avant notre ère, le peuple juif exilé en Perse fut sauvé de l'extermination grâce à Esther. C'est la fête des sorts, du monde à l'envers, de l'absurde, des pieds de nez, un jour où tout est permis et où les déguisements sont de mise. C'est le jour où la force de vie, la puissance du rire, l'emportent, alors même que l'on a été frôlé par la mort.
Un jour, Michel Nedjar fut bouleversé par une photo prise dans un camp de transit en 1946, à l'occasion de Pourim : des survivants s'étaient travestis en Hitler, d'autres en déportés. Alors, les poupées cicatricielles qu'il crée n'ont peur de rien. La force leur vient de bouts de tissus usagés, de papiers argentés, boutons et bouts de carton. Elles sont sentinelles, guerriers, chevaliers, mariées, déesses ou reines de la nuit. Certaines chevauchent des animaux à roues, d'autres portent des inscriptions, "fragile", "pétards à mèche, voir mode d'emploi au dos". Elles font peur et font rire, ce ne sont pas des poupées de petites filles sages, mais plutôt des gris-gris destinés à conjurer des peurs d'adultes.
Un peu confusément, en découvrant au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme le livre de Michel Nedjar Poupées Pourim (Gallimard, 2008), j'ai senti passer dans ses oeuvres un puissant souffle politique, comme une réponse vivante à la dangereuse morosité contemporaine. Peut-être est-il temps de nous tourner vers les petits bouts de rien du tout, les rebuts sans importance, les "abjets" à transformer en oeuvres d'art.

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