Cornebarrieu (près de Toulouse), 28 mars 2008
Vendredi 28 mars, je suis allé au CRA de Cornebarrieu. Un de mes amis y est en instance d’expulsion. J’ai voulu aller le soutenir à l’audience du juge de la détention et des libertés.
Je passe sur l’aberration d’une salle d’audience dont l’accès, libre par définition, ne l’est qu’en apparence (*). En témoignent les quatre bancs de la petite salle : trois où se serrent les “retenus” et sur le quatrième tiennent à l’aise un jeune couple, un autre couple, la quarantaine, avec une amusante petite fille qui va et vient, et moi-même.
Une équipe de deux hommes de TF1 filment dans le couloir et un peu dans la salle avant que l’audience ne soit ouverte. Caméra et micro n’en ont que pour la petite fille et le couple, que je prends pour les grands-parents. De la rétention arrive le père, brun, grave, tendre avec l’enfant. Je comprendrai à l’audience qu’il est kurde de Turquie. Vu que la mère a quitté cet homme, l’enfant dont elle s’est séparée a été confiée, à l’incarcération du père, à ce couple “d’adoption provisoire”. Tragique histoire. J’ai appris depuis que l’homme, après avoir reçu une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), ne sera sauvé in extremis de l’expulsion que par son refus d’embarquer, à l’aéroport. La préfecture (de Bordeaux, je crois) délivrera une autorisation de séjour à ce père qu’elle séparait de son enfant, à ce kurde promis à un triste sort en Turquie.
Dans cette première histoire, le point important me semble être que, sans la présence de la caméra de TF 1, le père partait, la petite fille restait. Les médias impressionnent les préfets, cela, nous l’avons tous appris.
Les images et leur commentaire passeront dimanche 13 avril à 19 h, dans l’émission 7 à 8.
J’attends de voir comment cette histoire sera racontée, pour l’édification des spectateurs. J’attends de voir comment sera présentée l’une des “retenues” présentée ce vendredi à la juge des libertés. Son histoire, elle aussi, sera-t-elle exposée ?
Elle s’appelle M., je ne saisis pas son nom. Ses cheveux très noirs et très fournis encadrent un visage grave, inquiet, impatient. Une interprète lui traduit et traduit ses réponses à la juge, qui lit le récit de son interpellation : venant d’Italie, elle a traversé le sud de la France vers l’Espagne, en direction du Maroc où, dit l’avocat, sa grand-mère est mourante. Elle est donc dans un bus, son billet est payé jusqu’au Maroc. Au Perthus, contrôle de police. Sans papiers, elle est interpellée, mise en voiture jusqu’au CRA. Ses bagages et les 1500 € qu’ils contiennent partent avec le bus.
Là, dans cette salle d’audience calme, sa voix porte soudain très fort. Elle parle longuement, elle ne comprend pas, déjà elle proteste. Qui donc “comprendrait” ?
La tension est forte, très forte. La jeune femme retourne s’asseoir sur le banc, tête basse. Elle ne dit plus rien. Silence, abominable silence.
Pendant la suspension d’audience, je suis allé parler à une personne de la CIMADE, en permanence au CRA. Elle me dit que des gens arrêtés à la frontière, qui quittent la France, il en arrive ici plusieurs par semaine.
La juge me semble exécuter la loi avec un esprit de justice sans équivoque. Elle fait son métier. La loi, elle, est injuste. C’est cela que nous voyons, que nous entendons tous, ici. J’ai honte du passeport que je porte, j’ai honte de ce qui est infligé à ces femmes et ces hommes, là, sous mes yeux. J’ai honte pour M., pour la petite fille qui joue. Je regarderai tout à l’heure, à la reprise de l’audience, cet homme, tête basse, seul, le regard fixé sur ses mains. Il n’est plus jeune, je sais qu’il est turc, il est seul. Il ne peut plus que cela, se taire.
La honte n’est pas seulement chez nous, quelques français. J’ai fini par comprendre que très peu de ces migrants leur disent, à leur famille, leurs amis au pays, la misère que nous leur faisons subir. La honte, ce sont eux, eux d’abord, qui la portent. Comment la dire ? Comment ne pas la partager ?
Nous attendons les jugements. La jeune femme marocaine, M., va parler fort, très fort, elle sera la seule à refuser de contresigner le jugement qui la maintient en rétention. Elle va se rasseoir, elle parle encore très fort en arabe, à demi tournée vers les autres bancs. Une femme de la police de l’air et des frontières vient simplement lui taper sur l’épaule. Silence. Quelle colère, quelle impuissance. Quelle stupidité française l’a-t-elle clouée-là ?
N’oublions pas qu’à deux pas de chez nous se tient la vie, la vraie, la vraie tragédie.
Cornebarrieu ou ailleurs, il y a un CRA près de chez vous. Allez-y voir.
(*) Une décision de cour d'appel a, depuis, interdit au tribunal de siéger dans les murs d'un CRA. Les audiences du juge des libertés se tiennent dans le tribunal le plus proche.
Allez-y voir. Vous y verrez les visages de quelques-uns de ceux qui vivent avec la peur constante de chaque flic. Vous aurez devant vous ce qu'on leur impose, de force, pour la simple, la seule et l'unique raison qu'ils n'ont pas dans de papiers.
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Le mal est là. Gardons les yeux ouverts.