Quelque chose de toi s’est perdu
Qui mange mon sommeil
Un soleil ?
Une main en allée
tend l’écuelle
Où le loup lape
Le loup ne dort pas
Le loup trotte en dormant
Dans les bois
Humant les herbes
les feuilles
L’éclair et le vent
La main
tend l’écuelle
La main d’homme
La main de caresses
La main de messe
Il boit
La main sans fin
Dans sa nuit
se pose
Elle tient
Sur la course du loup
À ce qu’ils soient rêvés
Les cimetières où il dort
Trottant, humant, hurlant
Comme un sacre infirme
Une aiguille épointée
Une fumée froide
Quelque chose de perdu
Trotte avec le loup
Sans fin
Lape l’écuelle vide
De nuit
Souffle au ras du sol
Quelque chose se perd
Bouscule l’ombre
Sursaute au vol de coton bleu
d’un hibou
Sombre dans le sombre
Parmi les tombes
Ombre filant
Vent de fourrure grise
Douleur exquise
Silence feutré de griffes
émoussées
Au sable des allées
Marquant sa trace
Le beau loup gris
L’enfant de nuit
Le trotteur infini
parle et crie
Griffu
Le loup dit
J’entends
Sourd
Il inscrit
Ce qu’il ne peut savoir
Il ignore dire
Je suis
J’écris
Il a hurlé
Une écuelle moussue
Bosselée
Gît sur un marbre terne
Le ciel s’en va
Perdu
Aux mousses dérangées
Au sable mouillé qu’il effleure
Sa trace
* * *
Quelque chose en toi se perd
Qui mange mon sommeil
Tu dors
Dans le chagrin du vent
Crissant
Courant le temps
L’œil se ferme
Aux chemins d’eau
Calme
Posée
La tête sous la lame
Une lune faseille
Sous la surface
Voilée
Je suis la roue qui crie
Et monte l’eau du puits
Tu ne l’entends plus
Qui boit ?
* * *
Courir
La main l’a dit
Elle tend la course du loup
Truffe pointée au sol
La main se tait
Il court
Entre les marbres des tombes
Il dort
Au long des allées
Le gravier dérangé
Retient d’un souffle sa voix tue
La désunion s’inscrit
La main qui donne
à boire
La main en allée
La main chaude de chair
écuelle vide
La main sait qu’il boit
Fugace
Il a passé
Tout revient à une paume
Tendue
Posée
Mieux qu’un croc perce la chair
Le gravier sait le vrai
Le juste
Le nécessaire
L’impossible qui va
Inscrit
* * *
Quelque chose est perdu
Qui mange le sommeil
Ce qu’il fuit c’est cela
dans ce remugle ancien
au mur aboli des tombes
L’odeur de Louve
Toute main l’abreuve
Tendre défaite
Impossible nid
Chaleur inouïe
Des larmes complices
Des sourires satisfaits
Un sang versé pour lui
Les marbres accumulent
Ce qui ne peut figer
Quand il passe en trottant
Léger, continu, porté
Poursuivi, abreuvé
Empli de sa terreur
Et parcourant les spasmes
Sa griffe marque au sol
L’impossible oubli
Sa course trace l’épure
Salie de signes
Du tendre qui tue
* * *
Le loup neige
Son silence sourd
Sa silhouette
Furtive
Décidée
Continue
File sur le sable
Allées Cyprès noirs Lune
Le loup neige son silence
Entre les tombes
Si la lune se cache
Plus rien ne détache
D’entre les marbres gris
Ce cri qui se tait
Le loup recouvre de sa course
Le silence étendu là
Il est l’ombre du silence
La griffe noire qui se marque
Ce qui ne fait que passer
La main s’oublie
Suspendue
La main qu’il dépose
Infiniment pressé
Au bord de la mort
Au bord des morts de glace
Et que l’oubli protège
Cette conservation
Ombres sous dalles
Cette odeur que nul ne sait
Qu’il poursuit
Fumet de vie
Il la parcourt et se tait
Il file entre les tombes
Flèche grise
Tremblement de nuit
Flocons tranquilles
Que chaque pas dépose
Rideaux à peine écartés
Voile sans vent
Mer à l’étale
C’est sa sombre voie lactée
Le chemin de sa ronde
Sa veille d’ossements
D’assèchements pérennes
Le loup neige sans retard
Comme un fruit sec
Son pied d’éclair
Il n’est que pour passer
Il est pierre tombée
Caillou qui se pousse
Tout ce don de passage
Que consacre l’oubli
* * *
La main qui se lève
Rien qu’un rêve
Rien qu’une trêve
La main en allée
Retombe
S’enlève
Le veilleur disparaît
Son domaine évanoui
Le loup trotte
passe la limite
Mufle haut
Truffe chaude
Il poursuit sa route
ses ombres
ses rêves
La main sans fin
La main de messe
En allée
Elle seule sait
Qu’ils sont rêves de loup
Les cimetières où dormir
Trottant, humant, hurlant
* * *
Quelque chose en moi perdu
A mangé mon sommeil
À peine filtrent
Sous les cils gris
La flamme sombre
Double
Aveugle
Voyante
La flamme sombre qu’on n’a pas vue
Tant feule dans la gueule fétide
Un cri qu’étouffe le souffle
Tout ce qu’expire en courant
L’animal du rêve
Le dangereux canidé
Qui va sans fin
Que va manger la ville
Et son goudron sec
Où sonnent les griffes usées
Il a retrouvé
Ce qu’être féroce
Est.
Prenez garde au loup.