A mes heures, je suis comédienne.
Et j'ai décroché un rôle dans une publicité. En Allemagne. Je sors d'Israël pour trois jours.
C'est la première fois que je quitte le territoire depuis que j'ai ma nouvelle nationalité. Marrant comment tout d'un coup tout va plus vite à l'aéroport. La fille me pose plusieurs questions, jusqu'à ce que son collègue, trouvant que ça prend un peu trop de temps, lui prenne mon passeport des mains. Regarde... il lui montre mon visa de nouvelle immigrante sur mon passeport français. Fini, je suis lavée de tout soupçon et peux procéder au check-in... j'ai aussi gagné le droit de me déclarer dans la file « israeli » aux douanes... autrement plus sympa, même si on s'y bouscule nettement plus.
Arrivée à Hambourg et tout de suite, l’évident... c'est l'exact opposé de Tel-Aviv.
C'est à dire: tout est propre, ordonné, net. Les rues, les bâtiments. Propre et vert, vert, vert...
Je me suis souvenue d'un phrase qu'avait eu Nadav, le nez collé à la fenêtre alors qu'on traversait la France en train: un pays avec autant de champs et de forêts sera toujours tranquille. Je n'avais pas tout à fait compris le sens du mot « tranquille » avant ce petit matin dans la grande bourgade encore endormie. Le calme que lui avaient inspiré les paysages français, en comparaisons aux friches israéliennes, à cette impression de précarité qui se dégage trop souvent de ce qu'on voit à travers les fenêtres ici.
C'est vrai, ça rassure. Les parcs, les arbres, les gens se promenant à vélo entre les arbres, dans les espaces verts à perte de vue, entourant un lac calme qui invite à la ballade. On a l'impression que ce quotidien merveilleux était là hier, sera là demain. Rien ne viendra troubler l'air pur, la sensation de permanence... Tout est là pour rester. On peut penser la vie, on peut rêver le monde puisque la base est là.
Moi, j'avais un but un seul pendant ma visite, et pas des plus noble: manger un max de cochonailles avant de repartir. Marre de manger du pastrama kasher, je voulais du vrai bacon, des saucisses, du jambon...!
Tu parles... sur le tournage tout le monde était végétarien. Et même s'ils étaient prêts à se mettre en quatre pour me faire plaisir (ils allaient envoyer un coursier chercher du lard au supermarché après que je me sois lancé dans une tirade sur mon envie de shinken) je leur ai prié de laisser tomber, ne voulant pas passer pour une carnivore démente auprès de mes nouveaux camarades.
Les Allemands sont très gentils, ils font très attention de ne pas se déranger, de ne pas se marcher dessus, de ne pas faire de bruit...
L'exact opposé, vraiment.
Et le gag, c'est que je me sentais tout d'un coup comme un éléphant dans un magasin d'antiquités en porcelaine rarissimes... Avec la trouille au ventre de faire une bêtise... j'étais tout d'un coup l'Israélienne bruyante, forcément grossière et mal élevée, qui fait des efforts pour planquer ses mauvaises manières. Parce que à force de vouloir marquer une différence entre eux et la vieille Europe dont les premiers pionniers fuyaient, les Israéliens ont forcé le trait dans la contradiction... Ils sont fiers d'être bruyant, fiers que leur langue soit directe et sans fioritures. Et insistent que tous les vieux codes sociaux doivent être laissés à l'entrée du pays, ces codes n'étant qu'une autre forme de la violence sous-jascente en Europe qui ne tarde jamais trop à vous sauter au visage si l'on n'y prend pas garde.
LES PETITS PAPIERS DANS LA CORBEILLE, SOYEZ SYMPA! (au self-service) MERCI DE NE PAS PARLER TROP FORT AU TÉLÉPHONE (avec smiley et succession de point d'exclamation enthousiaste!!!!!, dans le métro) UN CAFÉ? N'OUBLIEZ PAS D'ÉTEINDRE LA MACHINE, LA TERRE VOUS DIT MERCI (avec dessin du globe terrestre et smiley)…
J'ai tout bien fait. Je le jure. Je crois que je me suis mélangée les poubelles entre "papier" et "emballage" une fois dans le métro. Mais sinon, tout. J'ai fait très attention. Avec l’impression diffuse d’être une brontosaure, puisqu’en Israël il n’y a rien d’écologie. Toujours la même excuse : les préoccupations du pays sont des questions d’urgence, de survie. Alors, la sauvegarde de la planète on verra bien plus tard… sous entendu : si on est encore là… En attendant, pourquoi diable trier ses ordures, il y a mieux à faire, non ?
Le travail terminé, j'avais un peu de temps pour me balader.
J'ai pris le métro. Et je me suis un peu perdue. Alors j'ai demandé mon chemin à un vieux monsieur. Dans mon Allemand approximatif. Il m'a répondu en Hébreu. J'ai cru mal comprendre. Il a encore parlé Hébreu. J'ai eu un moment d'angoisse: je suis dans une gare allemande et ce type à qui je parle Allemand insiste de me parler Hébreu... c'est donc qu'il sait que je suis Juive. Et comment le sait-il? Hein… ? C’est écrit où ? Genau, le monsieur me parle Hébreu parce que depuis que je suis en Allemagne, je parle Hébreu à tout le monde. Avec la certitude de parler Allemand. Et le vieux monsieur adorable a étudié la théologie en Israël dans les années 80. Et il est très très content de voir qu’il n’a pas tout oublié. Et quand je m'excuse de ma confusion il m'explique que c'est un phénomène connu: quand on apprend une nouvelle langue, on la confond souvent avec celle qu'on a appris avant... Ma confusion le fait rire. Mais il ne trouve pas drôle quand je lui explique pourquoi tout ça m’a fait bizarre... les trains en Allemagne... haha. Non. Pas drôle. Il change de sujet. C'est ce qui s'appelle un tabou.
Quand on sort d'Israël, le pays où tout le monde s'efforce de s'éclaffer de tout tout le temps avec tout le monde, il y a des choses qui ne sont pas des sujets décents de plaisanterie ou même motifs à des sourires de connivence ironique.
L'exact opposé a continué de me fasciner...
Et c'est en me promenant dans les rues je me suis rendue compte de quelque chose: il n'y a pas d'Arabes à Tel-Aviv. Oui, bien sûr... en cherchant bien, en allant à Jaffa ou en visitant les cuisines des restaurants. Oui. Mais tout d'un coup, là, à Hambourg, on entend la langue, on voit les lettres écrites sur les murs, la télévision de l'hôtel capte des chaînes arabes. Je ne sais pas ce qui m'a le plus terrifiée: la réalisation physique que je suis enfermée dans une bulle homogène depuis plus d'un an, ou le fait que je ne m'en était pas rendue compte jusqu'alors de cette manière. Le fait est que j'ai eu peur, tout d'un coup, parce que tout d'un coup j'ai vu comment quand on vit à Tel-Aviv, on a beau être au centre du monde on est à des kilomètres et des kilomètres de la vraie vie telle qu'elle se vit ailleurs, avec ses métissages et ses confusions sonores.
Je suis rentrée dans ma province écartée au plein cœur du Moyen Orient pour les fêtes de fin d’année : c’est le nouvel an Juif… Shana Tova, alors ! Une douce et belle nouvelle année !