On vient de passer dix jours à Paris. Ah… les joies de la bureaucratie ! J’ai perdu mon pari, mais c’était prévisible. Le pari avait été lancé un jour que je pestais pendant l’une de ces journées où l’on s’activait entre des démarches et des démarches des paperasses et des paperasses des dossiers et des formulaires B76 roses en rafales lors du chemin de croix pour l’obtention de ma nationalité israélienne. J’avais lâché quelque chose comme : c’est pas possible, ce pays… Nadav, certainement d’aussi mauvaise humeur que moi, avait rétorqué que chez moi ce n’était certainement pas mieux. Comment ça ? Ben oui, la bureaucratie c’est partout pareil : aussi chiant, absurde et aléatoire où qu’on soit. Non, non… j’avais insisté, en France au moins on est traité civilement. La politesse, mon chéri, ça aide au stress des démarches administratives.
Tu parles, Charles.
J’avais la mémoire courte : quand on avait fait la carte de séjour de Nadav il y a deux ans, on avait subi des horreurs de la part de fonctionnaires divers et variés. Et Nadav a eu la présence d’esprit de me les rappeler quand je lui ai lancé mon : je te parie que ton renouvellement de carte de séjour ça va être super simple.
J’ai donc perdu mon pari. Pendant l’intégralité de notre séjour parisien, Nadav et moi avons été malmenés par les fonctionnaires les plus variés, du flic goguenard au petit chefaillons sadique. Et oui, j’ai regretté le joyeux bordel israélien où tout le monde se tutoie.
Nadav était passé par Paris il y a un mois et on lui avait dit de se présenté : muni de votre titre de séjour périmé et de votre épouse (moi, donc)
Ensemble, donc, nous sommes allés au centre d’accueil des étrangers de la rue Truffaut. A l’entrée, un homme noir très maigre se tient dans le froid le vent et la pluie en se tenant les côtes probablement dans l’espoir de se réchauffer. Il doit attendre quelqu’un. On entre se placer dans la queue à l’intérieur et il nous jette un regard horrifié. Je lui demande s’il attend aussi. Oui mais le monsieur a dit d’attendre ici. Je regarde à l’intérieur et constate que ce n’est pas la place qui manque, je lui fait remarquer, il insiste, en me montrant du doigt un très jeune policier derrière un guichet. Venez avec nous, je souris, il veut pas, j’insiste, on entre tous ensemble… monsieur est avant nous, je dis au flic… eh ben qu’il approche, je mors pas enfin pas d’habitude, haha, et puis fermez la porte derrière vous, il gèle, haha… Nadav et moi profitons de mes grandes avancées en Hébreu pour insulter copieusement le flicaillon en langage biblique (ils étaient très inventifs, les Hébreux, et c’est tout à fait génial de traiter quelqu’un de crotte de génisse qui pue)…
C’est à nous.
Nadav et moi nous approchons du guichet. Et c’est là où l’on comprend que le très jeune policier n’est pas l’horrible monstre qu’on s’était imaginé, il est juste très jeune et très con. Le sourire figé sur son visage n’est pas un sourire méchant, c’est un sourire absent et vide et bête, et qui ne le quitte pas une seule seconde.
Alors ? il nous demande, hilare.
Alors voilà : on a une carte de séjour, elle est périmée, il faut la refaire.
Monsieur est donc illégal ?
euh…
Faut faire attention à pas se faire arrêter, alors !
Marrant comme personne ne trouve ça drôle sa blague. Le monsieur noir qui a très froid nous regarde avec une inquiétude grandissante.
Bon, bon… reprend le jeune flic, je comprends pas ce que vous faites ici ? Sa collègue arrive et se bidonne: ben oui, c’est pas ici… ils rigolent beaucoup.
On nous a dit de venir ici.
On s’est gouré… !
On est venu de loin (moi, je continue de penser qu’il ne faut jamais jamais dire qu’on vient d’Israël… Nadav, ça l’énerve, alors il dit très fort : JE SUIS ISRAELIEN)
Ah… le jeune flic se lève. Il fait deux mètres et il a l’air très musclé. Je remarque que Nadav bombe aussi un peu le torse… ça va pas être marrant si ça finit à qui tape le plus fort… je sers le bras de mon homme.
L’autre annonce : je vais téléphoner et voire ce que je peux faire…
On attend.
A ce moment-là entre un jeune homme qui se précipite au guichet en brandissant un papier : bonjour monsieur, je viens juste déposer un formulaire… Il a l’air très sûr de ce qu’il fait, s’apprête à se lancer dans le couloir.
Popopop ! qu’est ce qu’il veut, lui ? demande le jeune flic
Juste déposer monsieur, je suis venu hier… Il a un accent de l’Europe de l’Est et une queue de cheval très longue dans le dos, ses mains sont blanches de plâtre.
Je vois ça, monsieur mais votre convocation c’est pas pour aujourd’hui
Oui, venu hier oublié papier
Ah ben fallait pas, monsieur, je peux pas vous faire passer moi
Pas de rendez-vous, juste donner papier à la dame, je sais où c’est, je connais bien… il sourit en essayant de plaisanter
Non, monsieur, pas possible il me faut une convocation valable, moi… ou revenez demain
Mais j’ai pris journée, demain pas possible, patron va pas me laisser
Qu’est ce que vous voulez que j’y fasse, moi, monsieur ?
S’il vous plaît ?
Sortez, monsieur…
Nadav, qui n’en perd pas une, me fait remarque que même malgré tout les « monsieurs » du monde, malgré toutes les formules de politesse contenues dans l’échange, la violence est présente partout. Autant pour mon pari.
Le flic grommelle, sourire au lèvres, nous prenant à témoin : je vais finir par m’énerver, moi... et puis on me la fait pas, j’ai l’air d’un idiot, moi? (trop facile)
c’est pour quoi vous déjà ?
Nadav reprend, s’efforce de lui expliquer : Monsieur, lors de mon dernier séjour parisien, constatant que ma carte était périmée, j’ai voulu la renouveler et on m’a demandé de me présenter avec mon épouse dans ces locaux car…
Le flic se tourne vers moi : z’êtes Française, vous ?
Oui.
Qu’est ce qui se passe, sans les détails… on va pas y passer la nuit, non ?
Je reprends: renouvellement carte séjour, c’est où?
Ben voilà qui est mieux ! Téléphonez-là (il me tend un numéro griffonné sur un papier d’une écriture de gamin) on va vous donner un rendez-vous
Mais on pourrait pas voir quelqu’un déjà ? Avancer un peu notre dossier, on est venu de loin (je rappelle)
Vous m’avez vu moi, monsieur ! Haha
Oui, mais
Oui mais rien du tout… bonsoir, monsieur, madame
Au téléphone, on nous donne un rendez-vous en Février que même un plaidoyer intense à la préfecture n’a su décaler à un peu plus tôt… Et n’oubliez pas de faire un formulaire de transition parce qu’il dans trois mois il est illégal, votre mari, madame