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Billet de blog 4 février 2009

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Un dîner à Tel-Aviv

Hier soir Eliza et David sont venus dîner à la maison. Eliza est une amie à moi, rencontrée à l’ulpan l’année dernière. Nous sommes devenues copines après nous être rendues compte que

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Hier soir Eliza et David sont venus dîner à la maison. Eliza est une amie à moi, rencontrée à l’ulpan l’année dernière. Nous sommes devenues copines après nous être rendues compte que, au milieu de la voix unique de nos petits (et moins petits) camarades de classe, nous étions l’une et l’autre la seule interlocutrice possible avec qui parler politique ne virait pas nécessairement au pugilat.

Eliza est Italienne. Elle dit en rigolant que c’est Israël qui l’a rendu catholique… elle ne voulait rien écrire dans la case religion aux bureaux des immigrants, mais on ne lui a pas donné le choix et puisqu’il fallait décider et qu’elle s’était fait baptiser, elle a coché « notsrit », catholique. Elle est enceinte de huit mois. Son mari, David, est né d’une mère Israélienne-Juive, deuxième génération de survivants de la Shoah et d’un père Palestinien-Musulman, première génération de survivants de la Nakba, la catastrophe en Arabe, le mot utilisé pour parler de l’expulsion des Palestiniens de leurs terres par les Juifs, en 1948.

Eliza et moi avons maintenu le contact après la fin des cours. On se voyait pour prendre un café vers chez elle (à Jaffa) ou vers chez moi (à Tel-Aviv). On parlait beaucoup politique. Enfin, parler le mot est grand : on se racontait les horreurs lues ou vues ou entendues. C’était toujours ça, nos rencontres, une collection d’horreurs.

Je n’avais jamais rencontré David et Eliza n’avait jamais rencontré Nadav. La dernière fois qu’on s’est vues, Eliza m’a demandé si j’avais une photo… Après fouilles dans mon porte-monnaie, j’ai fini par trouver quelque chose. Commentaire d’Eliza : Olala !mais je l’imaginais pas du tout comme ça, il a l’air d’un soldat, ton mec ! Comment ça ? Ben il est super musclé ! et puis il a le crâne rasé… Je regarde la photo de Nadav. Moi, je vois pas le soldat. Je dis à Eliza : tu sais, il était aux renseignements. Elle rigole : il sait tirer avec un fusil ? Je pense à ma belle-mère m’expliquant comment on tire avec un « one-shot » tchèque. Tout le monde sait faire marcher un flingue, ici.

David en fait s’appelle Daoud, le nom arabe équivalent. Il porte un kaffieh noir et blanc autour du cou. C’est drôle, je comprends en l’entendant parler d’où vient les accentuations arabes que Eliza a quand elle parle Hébreu, ça monte autrement, les « r » ne roulent pas pareil. Le début du dîner est un peu gêné, on rame un peu, avec Eliza, sans trop se le montrer… comme dans toutes ces rencontres à quatre où deux des présents ont été amenés en pièce rapportés. Daoud ne parle pas beaucoup, il a l’air fatigué. Il nous raconte qu’il travaille sur des chantiers en ce moment puisqu’il ne trouve pas de travail comme psychologue.

Son compagnon de chantier est un acteur avec lequel Nadav avait travaillé sur son premier film, Moussa. Qui en plus avait parlé de Nadav, que du bien… d’un coup, la conversation se fait plus simple, plus souple. Comme si une barrière de méfiance était tombée. Les deux jouent au jeu bien connu de qui-tu-connais-que-moi-je-connais-aussi… et ils ont pas mal d’amis ou de connaissance communes, Nadav et Daoud, ils échangent des anecdotes.

On est interrompus par l’arrivée de Eran qui vient nous apporter à Nadav et à mois les tracts à distribuer demain, pour Hadash.

On donne à Eliza et Daoud les derniers exemplaires avant les élections. Daoud nous dit que sa famille entière vote pour le parti depuis deux générations. Eliza ne peut pas voter aux élections nationales. Daoud dit qu’il ne sait pas s’il va voter cette fois. Il a l’air las, fatigué, harassé quand il dit ça. Ils sont tous pareils… et ça ne sert à rien. Nadav se lance dans des comparaisons en chiffres : si toute la rue arabe votait, on pourrait avoir une Knesset avec vingt sièges arabes ! c’est plus que les prévisions pour Lieberman… là oui, les opinions arabes pourraient peser ! Daoud hausse les épaules. Mouais. Ça sert jamais à rien. Et les Arabes le savent, on en a marre de voter. De toutes façon nous on en a pas pour longtemps ici… encore un peu et on se tire, on part en Toscane, ras-le-bol.

Je leur demande, à lui et à Eliza, s’ils pensent vraiment qu’ils peuvent comme ça tourner le dos à Israël/ Palestine.

Pourquoi… ? ça faits deux ans, depuis qu’on est rentré d’Italie, qu’on en parle. On pense acheter un appartement, pour avoir un lieu ici, et puis partir.

Mais il faut quand même avoir un endroit où revenir ? j’essaie de comprendre.

Daoud dit : pour moi ce qui est important c’est la terre, je veux avoir de la terre ici. Ça me fait rire tellement cela me semble anachronique l’idée de la terre. Mais il est très très sérieux. La terre, c’est ça qui est important. Si tu as de la terre tout va bien. Daoud ri et dit : et puis après peut-être que les Juifs rentreront en Europe et là on pourra être tranquille.

Il y a un flottement.

Nadav raconte qu’après son service militaire il est allé vivre deux ans en France : j’avais toujours eu l’impression qu’au fond j’étais un Européen perdu au Moyen-Orient, que j’allais me découvrir en Europe, que tout allais être plus simple là-bas… je ne suis pas le seul, il y a beaucoup d’Israéliens qui partent en pensant que leur vraie maison est ailleurs. Pas ici, là-bas en Europe… A Paris je me suis rendu compte que je suis d’ici. Malgré tout. Ça vaut ce que ça vaut, je suis Israélien. Mes grands-parents sont venus ici de Lituanie et de Tchécoslovaquie avant 48. Ceux de leur famille qui n’ont pas réussi à arriver en Palestine sont morts gazés ou tués. Pour mes parents, c’était très simple : cet endroit c’était la solution pour ne pas mourir. Et pour moi, c’est autre chose… Je n’ai pas un autre pays… je l’ai compris en allant en Europe, j’ai plus en commun avec ton cousin de Tul-Karem qu’avec un Lithuanien.

Re-flottement.

Eliza dit : la mère de Daoud est fille de survivants.

Daoud sort sur le balcon fumer une cigarette.

En revenant il nous raconte qu’il a des documents qui prouvent qu’il a cent dunams de terre à côté de la ville de Nathanyha. L’état israélien ne veut pas lui rendre, mais lui offre une compensation : six cent mille dollars. On demande, naïvement, s’il compte accepter.

Daoud hoche la tête, calme mais ferme, explique : bien sûr que non. Ce serait entériner une double occupation : en 48 cette terre a été volée à sa famille, il faut qu’on lui rende. Aucun argent ne pourrait compenser cette perte et prendre de l’argent en échange serait accepter qu’il y a une compensation possible à la Nakbah.

Je pense à la décision de Ben Gurion d’accepter de l’argent allemand en compensation pour la Shoah, décision qui avait fait scandale àl’époque. Je me demande si les grands-parents maternels de Daoud avaient accepté de recevoir l’argent, mais je garde ma question pour moi. Avec toutes les autres.

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