Naruna Kaplan de Macedo (avatar)

Naruna Kaplan de Macedo

Abonné·e de Mediapart

185 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 avril 2022

Naruna Kaplan de Macedo (avatar)

Naruna Kaplan de Macedo

Abonné·e de Mediapart

images en campagne, suite

Toute la difficulté en documentaire, c'est d'arriver à faire parler le présent "pour de vrai", tout en laissant libre cours aux échos du passé et, quand c'est possible en permettant au spectateur de se projeter dans ce qui vient ou ce qui pourrait être. En cela c'est une forme de cinéma politique.

Naruna Kaplan de Macedo (avatar)

Naruna Kaplan de Macedo

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un film c'est toujours à un instant T.

C'est à dire: on raconte quelque chose qui s'incarne à travers des personnages et des récits, mais qui s'ancre forcément dans une temporalité, celle de ce qui est à l'écran.

Toute la difficulté en documentaire, c'est d'arriver à faire parler le présent "pour de vrai", tout en laissant libre cours aux échos du passé et, quand c'est possible en permettant au spectateur de se projeter dans ce qui vient ou ce qui pourrait être.

En cela, c'est forcément du cinéma politique.

Je filme les semaines avant l'élection. Mais dans tout ce que je filme il y a des éclats du quinquennat de Macron. Cinq ans qui se retrouvent incarnés de plusieurs manières, dans ces détails où le diable se prélasse.

C'est Martine qui raconte comment depuis son agence immobilière, elle a vu une recrudescence de mères isolées venue quémander des arrangements pour arriver à obtenir un logement. C'est Véronique qui raconte les grands déballages, accoudés au comptoir de son café, où elle éponge des tristesses sans fond et sert de plus en plus d'alcool de plus en plus tôt. C'est Jean qui raconte les flambées des prix des matériaux et les chantiers arrêtés parce que personne ne peut s'offrir du bois 15% plus cher. Des détails.

J'ai commencé à penser ce film à travers mes propres interrogations. J'ai eu envie de répondre à mon écoeurement par des images. Je voulais questionner l'abstention sous toutes ses formes en filmant celles et ceux qui ont déserté la politique partisane depuis peu, refusant les "votes utiles", les "barrages", les "front républicains" qu'ils avaient intégrés comme partie intégrante du rituel électoral.

Et puis par delà le sujet j'ai rencontré des personnages et j'ai plus été intéressée par leurs histoires que par leurs intentions de vote. Et le film a bifurqué. Heureusement, je crois. Aucun bon film ne peut servir un sujet, quel qu'il soit. Même insidieusement, quand on a quelque chose à "faire passer", quand on porte "un message", on se retrouve à vendre plus qu'à raconter. Et tout le monde déteste la pub, non?

Les hommes et les femmes que je vais filmer ne savent pas vraiment pour qui ils vont voter. Enfin, certain si. Mais pour la plupart, leurs hésitations continuent et continueront jusque dans l'isoloir. Et dans ce qu'ils et elles disent, le quinquennat "en marche" résonne comme autant de pistes de colères. Le sentiment de déclassement, l'amertume face aux mensonges. Est-ce qu'on peut encore parler de désillusion dans ce cas où, déjà, les illusions étaient perçues comme telles?

Je ne suis pas sociologue. Et je n'ai que mon point de vue comme prisme, forcément biaisé. Mais depuis la place en bas de chez moi, depuis le Ravelin à Toulouse, la tristesse est grande et la rage gronde. Quand je regarde dans sa web-série, les images de notre président thaumaturge, tripotant les chevelures, serrant les épaules et les paluches, souriant et fier, je me demande où est cette France enthousiaste qui attend encore quelque chose de lui. Tout ne peut pas être mis en scène. Si? Cette femme qui l'embrasse avec ferveur, ces larmes de joie à être touché par les mains élyséennes, ces enfants hilares... Ce ne sont pas tous des comédiens. Ce n'est pas possible.

Je suis obligée d'anticiper, pour savoir quoi filmer. Alors je m'interroge:

Et si Macron gagnait dès le premier tour? Cela semble improbable mais tout l'est, à ce stade.

Et si c'était un "match" Union Populaire VS En Marche?

Et si Marine Le Pen gagnait au second tour?

Et si ça pouvait vraiment être pire, ce qui arrive?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.