Deux fois par semaine ou quelque chose comme ça, je vais suer sur des machines.
Un esprit sain dans un corps sain qu’ils disent.
Bref.
Hier, cours collectif.
Vélo. Musique. Hommes et femmes pareillement musclés qui pédalent au même rythme sous les beuglements d’une prof qui ressemble à une composition hybride, quelque part entre Barbarella et GIJane.
Tout le monde est hilare, ils et elles crient de concert, pédalent ensemble, lèvent les bras quand il faut, tapent dans les mains au même moment.
Moi, je suis tant bien que mal, sur le bord, hésitante. Je lutte contre mes problèmes de coordinations et une crampe dans la jambe droite. Je me regarde les regarder en essayant de me rappeler ce que je fiche là, à les regarder s’amuser tous ensemble. Je souffre, seule.
Peut-être me reste-il encore trop de cette conscience-de-soi européenne qui fait qu’il m’est difficile de m’abandonner tout à fait… ou en tout cas assez pour claironner MY NAME IS LUCA, I LIVE ON THE SECOND FLOOR (yeah !yeah !) … en version techno (si, si).
Je suis donc l’éternelle « nouvelle », celle que la jolie prof encourage tout particulièrement à coup de « serre le nombril, olah ! » (pour ceux qui ne savent pas, les olim sont ceux qui viennent de monter en Israël… je suis une olah, donc… quant à ceux qui ne savent pas comment on serre son nombril, je ne peux rien faire pour eux)
Je ne sais pas si c’est les endorphines, l’ennui, la fatigue, les cris ininterrompus « allez ! allez ! allez ! KA-DI-MA ! » les lumières disco (ça motive à ce qu’il paraît) ou plus simplement le retour en terre sainte… je me souviens d’une chose que m’avait dit mon amie Anat quelques jours après notre rencontre : Peut-être que le premier point culturel à digérer en Israël, c’est le collectif.
Tout le pays a été construit là-dessus, l’idée qu’ensemble on est plus fort, qu’une fois réunis les Juifs-transformés-en-Israéliens seraient invincibles. Je ne m’attarde pas sur le fait que cela se fait forcément aux dépends des Autres, de TOUS les autres restés dehors… (ce qui inclus bien évidemment les Juifs-de-la-Diaspora, non initiés).
Le groupe, quel qu’il soit, voilà la vraie finalité.
La famille, le clan, les amis (amis du lycée, amis des scouts, amis de l’armée, amis de l’université, amis du travail, amis de l’unité de réserve retrouvés avec bonheur, amis de toujours, amis à la vie à la mort, meilleurs amis).
Petites unités fermées. Opaques. Excluantes.
On nous avait dit ça, à l’ulpan, ce cours d’Hébreu intensif pour nouveaux immigrants : votre kita-aleph, cette classe préparatoire, c’est le service militaire des nouveaux immigrants… regardez autour de vous… si vous le voulez, ces gens seront vos amis pour la vie, des gens sur qui vous pourrez toujours compter, votre nouvelle famille avec qui partager vos joies et vos peines dans votre nouveau pays.
Et les rituels entretiennent ça.
Régulièrement on chante en groupe, on rit en groupe, on danse en groupe, on mange en groupe, on dort en groupe, on pleure en groupe, on se tient en silence en groupe, on allume des bougies en groupe, on se souvient en groupe, on se promet en groupe, on se fait peur en groupe, on se rassure en groupe.
On se retrouve, on compte ses membres, on fait ses comptes, on se regroupe.
On se prépare.
On est prêts.
Qu'ils viennent, qu'ils viennent... ils verront bien.
Dans l’idée, j’aime bien. Les groupes, j’ai toujours aimé ça.
Comme choisir mon camp et m'y tenir... et être prête à tout pour que « nos » équipes et idées gagnent (du terrain, les élections, un siège de plus au Parlement…)
Mais voilà : le dehors et le dedans sont une gymnastique-dialectique constante, infinie.
La seconde où l’on se sent ravi de faire partie d’un tout, d’avoir trouvé un parapluie commun à partager avec quelques personnes, on entrevoit d’un coup tous ceux qui en sont bannis et qu’on voudrait inclure.
La majorité passe encore, c'est elle qu'on fuit quand on se retrouve...
Mais si notre collectif se créé aux dépends d’une ou de plusieurs minorité(s), quel est ce collectif dont on est si fier de faire partie ?
Blague juive : un bateau fait naufrage et Salomon se retrouve seul sur une grande île désertée. Des années et des années plus tard, un bateau accoste sur l’île de Salomon. A la grande surprise du capitaine, l’île n’est plus du tout déserte : Salomon y a construit un village. Très fier, ce dernier fait faire au capitaine le tour du propriétaire. L’école, la poste, l’épicerie… et même une synagogue ! Le capitaine, admiratif, note : et là-bas aussi ! vous avez pris la peine de construire DEUX synagogues ! Salomon le regarde en dessous et d’un air de secret lui dit : non, non… celle-là nous n’y allons jamais… !