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Billet de blog 6 décembre 2011

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Ce qui passe/ courants interrompus

Que peut le cinéma ? Le festival qui a lieu jusqu’au 13 décembre au cinéma des Trois Luxembourgs, à Paris, pose des questions sur le Proche Orient à partir de films, courts et longs métrages, et de rencontres.

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Que peut le cinéma ? Le festival qui a lieu jusqu’au 13 décembre au cinéma des Trois Luxembourgs, à Paris, pose des questions sur le Proche Orient à partir de films, courts et longs métrages, et de rencontres.

http://www.quepeutlecinema.com/index.php?home.htm

Hier soir, je suis allé voir mon ami Guy Davidi qui présentait un film « Don du ciel », réalisé avec l’association KaLaOved. Cette association tente de faire respecter les droits des travaillleurs étranger en Israël. Avant la fermeture des frontières, l’association oeuvrait pour les ouvriers Palestiniens. Depuis les années 90 et le blocage des frontières à la suite de la deuxième Intifada, ce sont des travailleurs d’Asie du Sud qui sont venus remplasser les Palestiniens dans les champs Israéliens.

Tant mieux, dit le patron qui nous fait visiter ses terres au volant de sa jeep et que la caméra de Guy cadre sans aucun commentaire : les Thaïlandais font du bien meilleur travail.

Surtout, on comprend vite que « les Thaïs » sont moins chers, ne comprennent rien (puisqu’ils ne parlent pas Hébreu mais ne comprennent pas non plus l’Anglais) et sont donc corvéables à merci, exploitables à l’envie.

On voit les corps de ces hommes, visages cachés derrière des lunettes noires, visages masqués pour se protéger du soleil. Les mains creusent la terre, mettent en place les bâches, et puis recommencent. Gestes répétés, dos penchés, genoux à terre, mains au sol. On n’entend pas un soupir.

Ah ! moi je suis à plaindre, si vous saviez… le Patron se confie. D’un homme Israélien à un autre, on se comprend n’est-ce-pas ? L’état nous prend tellement ! et nous donne si peu… J’aurais voulu avoir plus d’ouvriers… ils sont supers, les Thaïs. Mais non, le gouvernement limite les nombres, alors on a du mal…

Dans ces champs au Sud d’Israël, les roquettes tombent à intervalles réguliers. Un ouvrier Thaïlandais a reçu un obus (littéralement) dans son lit.

Son corps est brisé. Là où les autres se cachent, lui se montre. Son torse exposé, on voit les marques, les brûlures.

Il devrait recevoir de l’argent, une compensation de l’Etat. Il n’a toujours rien reçu.

Je savais qu’il y avait un conflit en Israël, oui… mais je n’avais pas compris que j’allais travailler en plein milieu.

Où est-il, le centre du conflit ?

Occupation et capitalisme se mélangent. L’une salit le fonctionnement de l’autre. A l’écran, entre les visages aux sourires fatigués de ces étrangers en terre d'Israël, les deux choses ne font plus qu’une seule et même boue.

La discussion qui suit est passionnante. Il est rare qu’on se permette en France de penser ce qu’Israël peut nous apprendre sur le monde. Et soudain, là, à partir de cette situation particulière au capitalisme d’occupation, à partir d’un cas spécifique à Israël on peut penser le capitalisme sauvage mondial.

Cela ne met pas les choses « au même niveau », non. Mais cela nous donne à penser avec les outils de l’urgence ce qu’on pourrait imaginer faire ici et maintenant… jusque dans notre Occident pacifié.

J’avais rencontré Guy il y a quelques mois de cela quand il montait son dernier film (qui vient de gagner des prix au festival de Itfah et d'être séléctionné à Sundance). Il fait partie de ces personnes qui pensent le cinéma comme un outil de lutte. Le cinéma et toutes ses possibilités artistiques, visuelles et sonores, la recherche de ce que pourrait être un plan juste comme une issue en mouvement : donner à voir et donner à penser.

Un autre de ses films, Courants Interrompus, co-réalisé avec Alexandre Goetschmann sera projeté samedi dans le cadre du festival. Il est terrible et magnifique, et je vous le recommande absolument.

Dans le film, l’eau construit les liens, les détend les détruit les malaxe les transforme. L’occupation est dans les corps, ces corps que Guy filme toujours comme des narrations en mouvement, autant d’histoires qui se meuvent devant son cadre. L’occupation est dans ces corps et dans ces histoires et dans les narrations qui s’interrompent - courants interrompus. On se raconte des histoires, des histoires du village et des histoires bibliques. On se raconte des histoires pour ne pas perdre courage, pour continuer à attendre ou pour continuer à se battre.Et les paysages sont là, ces paysages de Palestine aux oliviers décharnés entourés de cailloux et de rochers. Paysages arides et familiers dans lesquels on retrouve les hommes et les femmes qui les travaillent.

La projection aura lieu à 16 heures et sera suivie d’un débat.

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